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« Fou de Marie », de Pierre Tanguy

Publié le : 16 septembre 2011 à 18h07

"Fou de Marie", de Pierre Tanguy

Titre : Fou de Marie
Auteur : Pierre Tanguy
Éditeur : La Part Commune
Parution : 2009
Format : 12 x 17 / 80 pages
ISBN : 978-2-84418-191-6
Prix indicatif : 12 €


Résumé du livre

Véritable « idiot du village », Salaün ar fol (Salomon le fou) se balançait aux branches d'un arbre en acclamant la Vierge Marie. On est en Bretagne au XIVe siècle, pendant la guerre de Succession, et des merveilles survinrent à la mort du fou.

Dans un texte épuré, Pierre Tanguy redonne vie à ce personnage, dont l'histoire a bercé son enfance près du sanctuaire marial du Folgoët. Sous sa plume, Salaün ar fol rejoint toutes ces figures d'hommes et de femmes, victimes des guerres ou de l'exclusion.
L'auteur y voit aussi un modèle d'ascétisme « franciscain », dans la longue tradition chrétienne du dépouillement et de la recherche de Dieu, au plus près des éléments et de la nature.


 

Extrait du livre


Il s'appelle Salaün
Salaün comme Salomon,
le sage de la Bible

Salomon le fou,
Salaün ar fol
dans la langue du pays
Salaün vient de nulle part.
On l'a toujours vu
errant par les chemins.

Il est sans âge,
le temps n'a pas de prise sur lui.
Le fou,
l'insensé.

Il se balance aux branches du chêne,
au-dessus de la fontaine.

Salaün chante à pleine voix
« Ave Maria »
Salut Marie.
Deux mots
six fois répétés.
Salaün sort du bois de feuillus.

Il mendie un peu de pain
allant de ferme en ferme

« Salaün mangerait bien
un morceau de pain »,
dit-il en tendant la main.


 

Pourquoi j’ai écrit Fou de Marie
(éléments de l’exposé fait par Pierre Tanguy devant des habitants du Folgoët et des environs le dimanche 30 mai 2010)

Comment pouvais-je imaginer, quand j’avais 20 ans, que j’écrirai, un jour, un recueil sur Salaün ar fol, ce fou de la Vierge ? Et pourtant, je l’ai fait. C’est sans doute le recul pris par mon travail de journaliste d’informations religieuses (en dehors du Nord-Finistère) et par les déplacements dans un certain nombre de pays (Terre sainte, Cappadoce, Égypte…) qui m’ont permis de regarder d’un œil neuf Salaün ar fol.
Ceci dit, j’ai toujours été habité par les récits merveilleux liés au personnage. Je le dois à mes origines léonardes puisque, depuis la maison de mon grand’père (au Parcou en Ploudaniel), on pouvait voir le clocher de la basilique du Folgoët et que j’ai, durant mon enfance, suivi assidûment les festivités du pardon annuel. Je le dois aussi à ma grand’mère maternelle qui pérégrinait de Ploudaniel au Folgoët par les chemins de campagne en chantant des cantiques. Et quand mes parents ont fêté leurs cinquante ans de mariage, c’est au Folgoët, devant la statue de la Vierge, qu’ils ont terminé leur journée par une prière.

Une première remarque. Ma relecture de Salaün m’amène aujourd’hui à considérer que c’est un type de personnage qui traverses les civilisations et participe d’un fonds commun de l’histoire religieuse. Il conjugue en réalité deux figures : celle de l’ermite et du fou. D’où la parenté qu’on peut lui trouver, au sein du monde chrétien, avec les « illuminés » de la religion orthodoxe ou du catholicisme médiéval. Avec, aussi, les anachorètes de Cappadoce priant dans leurs grottes ou au désert. « Ils vont au désert comme d’autres, plus tard, sous des cieux chargés de nuages, s’en iront vers les îles ou des forêts de chênes. Partout le même amour des pierres, de la feuille et du vent », écrivais-je dans une « Lettre de Cappadoce », annexe à mon recueil Lettre à une moniale (La Part commune, 2005).
Mais, surtout, je voudrai établir un lien entre Salaün et des figures religieuses du monde extrême oriental. À commencer par le Japonais Ryokan, moine zen (1758-1831), sorte de saint François d’Assise bouddhiste. « Je vis dans un ermitage au toit de paille / j’écoute les oiseaux, c’est ma seule musique (…) Je laisse les gens me traiter de fou et d’idiot », écrit-il dans Le chemin vide (éditions Dervy, 2003, p.51). Ou encore ceci : « En haillons, toujours en haillons / En haillons, c’est ma destinée / Pour la nourriture, je la mendie au bord du chemin » id. p.68). En le lisant, comment ne pas penser à Salaün ?
Ce personnage du fou ou de l’idiot, on le retrouve en Chine où il est même glorifié dans la peinture. Comme le note l’écrivain chinois Lin Yutang, dans son livre L’importance de vivre (Picquier, 2004), « Le pauvre moine déguenillé, et à moitié fou, devient le symbole de la plus haute sagesse et de la noblesse de caractère » (p.142). Il cite le moine-poète fou Hanshan qui « se promenait les cheveux défaits et les pieds nus, travaillait dans les cuisines des différents monastères, mangeait les restes et écrivait des vers sur les murs des temples ou des cuisines ». Salaün ar fol n’était ni poète ni moine, mais il y a des parentés sprituelles évidentes surtout quand on sait qu’il vivait dans l’orbite du monastère de Landévennec et qu’il fut, peut-être, apprenti-moine avant vivre solitaire dans la nature. « Béni soit les idiots, car ils sont les gens les plus heureux de la terre », affirme Lao Tseu, auteur du Livre de la voie et de la vertu, considéré comme le fondateur de l’école taoïste (5e siècle avant Jésus-Christ)

Deuxième remarque. Pour en revenir à l’Occident, Salaün révèle un certain visage du christianisme. Et d’abord le détachement des choses de ce monde. C’est ce côté franciscain marqué par la sobriété, la frugalité, le recours à l’aumône. Dans le cas de Salaün (sorte de SDF des temps médiévaux) cette frugalité n’est pas forcément voulue, mais elle est assumée.  Il y a aussi, implicitement, ce choix de la non-violence, ou, du moins, ce rejet de la guerre, quand il refuse de prendre parti pour Blois ou pour Montfort. Je note également deux autres aspects importants : la louange et la confiance en quelqu’un (Marie), deux manifestations essentielles de la foi qui l’anime. Salaün, au bout du compte, s’apparente à une forme de figure de maître spirituel.
Ce qui est également frappant, c’est qu’il véhicule des valeurs que l’on remet aujourd’hui en valeur dans le christianisme et qui imprègnent fortement la société actuelle : le respect de la nature, la proximité avec les éléments, l’amitié avec les bêtes… Autant de thématiques présentes, d’ailleurs, dans l’ancienne religion celtique.

Troisième remarque. Salaün garde son mystère. D’où vient sa dévotion à Marie ? Et, surtout, d’où vient sa folie ? Est-il né déséquilibré ? N’aurait-il  pas pu devenir moine à cause de son handicap ? A-t-il perdu la tête parce qu’il a été rejeté par une femme nommé Marie ? Dans sa « Vie de Salaün », le dramaturge Tanguy Malmanche évoque une châtelaine passant près de la fontaine et que Salaün prend pour Marie, la dame qu’il rêvait de servir.
Salaün est-il devenu fou à cause de la folie des hommes ? On pense ici à la guerre et à son lot de massacres dont il aurait pu être le témoin. L’hypothèse que retient bien entendu l’Eglise, c’est sa folie pour la Vierge Marie, la mère de Dieu.

Ce qui amène – quatrième remarque – à s’interroger sur le sens de cette folie. Ce n’est pas la folie du simple idiot de village. Il y a, dans la folie de Salaün, cette folie de l’innocence et de la naïveté (alors que dominent - maintenant comme autrefois - le cynisme, l’arrivisme, la bêtise…). Il y a cette absence de calcul, cette âme d’enfant (« Si vous ne devenez comme des enfants… »). Sa folie est à la fois mystique et symbolique. Mystique par le fait de vivre dans une autre réalité, une réalité que ne conçoivent pas les autres. Symbolique, parce que Salaün, dépossédé de lui-même, est « saisi » par plus grand que lui. Le fou, dans ce contexte, devient un être sacré, inspiré et protégé de Dieu.

Dernier point. Comment écrire sur ce Fou de Marie ? J’ai voulu un texte dépouillé, comme l’était Salaün. Il faut peu de mots pour exprimer la nudité du cœur. J’ai aussi voulu dire, raconter comme dans un conte ou dans une histoire merveilleuse. J’ai usé de mots répétés (comme Salaün scandant le nom de Marie) pour donner au recueil, parfois, les accents d’une mélopée. J’ai écrit au présent pour dire que Salaün ce n’est pas seulement le passé. Son témoignage est actuel et c’est ce qui m’intéressait en publiant ce recueil.
Enfin, j’avoue avoir eu la tentation de lui donner la parole, en écrivant mon texte à la première personne. Comme Salaün n’a rien écrit, je lui aurai fait raconter sa vie. Comme a su la raconter, lui-même, le moine zen Ryokan.

Pierre Tanguy

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