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Carte postale de Buenos Aires (Argentine, février 2011), par Aurélie Mandon

Publié le : 3 février 2012 à 13h31

Le Konex, lieu culturel rassembleur de Buenos Aires © Aurélie Mandon


« Chaque cœur est une cellule révolutionnaire. »
(une habitante de La Vecinda)

 

Près de la station Acoyte, à Buenos Aires, je frappe à la porte d’une vieille maison. Une rumeur de rires et de tambours s’en échappe. On m’a parlé de cet endroit, La Vecinda : une maison ouverte d’une dizaine d’habitants plus ou moins permanents, une résidence artistique underground, des rencontres nocturnes. L’esprit ? fábrica de fallas, une fabrique de bugs : ces petits insectes internes qui nous font douter de notre pré-programmation pour nous faire prendre d’autres chemins en nous ouvrant à d’autres systèmes.

Une jeune femme ouvre enfin. À l’intérieur, cinq hommes tapent des peaux dans le patio pendant que les filles dansent. On applaudit, on achète des bières en cuisine, on fait tourner un puro, l’air est encore chaud. Le thème, ce soir, tourne autour du « condombe », ce tambour à l’âme afro-uruguayenne. Des musiciens se prêtent au jeu d’un bœuf entre deux documentaires projetés.

Kari porte un pantalon large style indien, bleu indigo, un T-shirt blanc déchiré aux manches, une tresse. Elle est arrivée ici pour faire des études puis elle est restée. Elle n’a aucune envie de retourner en Inde, va peu dans d’autres quartiers de Buenos Aires. Elle prétend que la maison est un voyage en soi, de tous les jours, une source d’apprentissage à travers les gens qui y passent, des mélanges de cultures. Elle m’explique que le lieu est idéal pour créer, expérimenter dans toutes les disciplines et s’ouvrir aux autres. Derrière elle, le mur du patio est entièrement tagué, une immense fresque éclatante de couleurs. Gabriel, lui aussi, est un habitué du lieu. Il n’y habite pas, y passe seulement. Il connaît tout sur tout, des maths à la géographie. Un Japonais rentre sous les bromas (plaisanteries) de ses compagnons : « Ça y est, la planète est au complet ! ». Aux fourneaux, une jeune femme vend des salades pour récolter des fonds. Caro est excellente cuisinière. Elle est aussi « directrice artistique » de la radio libre La Tribu. Car La Vecinda, au commencement, abritait un projet de radio alternative. Expérimenter le son, parler de liberté d’expression sont au programme.

On m’offre une cigarette et, fumant, je les observe. Ils sont jeunes. Ils sont vivants, échoués ici, sur cet espace de liberté. Soñar, luchar, agradecer… Rêver, lutter, remercier…

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Carte postale de Sandanski (Bulgarie, septembre 2010), par Aurélie Mandon

Publié le : 3 février 2012 à 13h28

Music Box Tour © Aurélie Mandon

J’atterris en Bulgarie pour une semaine, à Sandanski, ville balnéaire du sud-ouest. Motif officiel : photographier les ateliers d’un rassemblement de jeunes Européens, couvrir le festival de musique et tourner un clip pour le slameur LX.

Lors des réunions de groupe du matin, en cercle, il est évoqué l’idée de chanter un air symbole de lutte contre la pauvreté le dernier jour du festival. L’un de nous pose alors cette question : La pauvreté a-t-elle le même sens en Hongrie, en Turquie, en Bulgarie ? Un Français évoque la pauvreté à côté de chez soi et l’indifférence envers son prochain. Une Espagnole évoque les inégalités Nord-Sud. Un Roumain parle, lui, de pauvreté des opportunités. Pour les artistes, peu d’occasions, peu de contacts, pas d’argent et une mobilité limitée, des très riches qui deviennent de plus en plus riches et les autres qui s’appauvrissent, des traditions et des pressions familiales difficiles à gérer. Les envies d’un côté. Le manque d’opportunités de l’autre. Et une balance qui a du mal à s’équilibrer.

Stanoela est chanteuse. La journée, le casque sur les oreilles, elle répète sans relâche sa chanson du soir, travaille sa voix. La nuit tombée, bien après le spectacle, quand les groupes font la fête à l’étage supérieur, le hall vide devient sa scène, les lumières du dehors sont des petites flammes de briquet d’un public conquis. Elle refait un pas, répète son entrée, la façon dont elle va saluer. Elle a la voix claire et puissante, aime les chanteuses romantiques et généreuses en vocalises : « Mon rêve serait de devenir Mariah Carey ou Lara Fabian. Ici, le marché de la musique est fermé. Sorti de la chalga, point de salut. » Les USA la font rêver, mais comment obtenir un droit de séjour, comment survivre, où trouver des contacts ?

Je fais défiler mes photos prises dans la journée. Les regards sont remplis de rêves de musique, de photos, de films. Dans 10 ans, je retomberai peut-être sur ces images avec l’angoisse de cette question : que sont-ils devenus ? Ce soir encore, j’entends la voix de ma voisine de chambre et j’espère m’en souvenir, je fais le vœu qu’elle ne s'éteigne pas.

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Carte postale de Miami (USA, janvier 2009), par Aurélie Mandon

Publié le : 3 février 2012 à 13h24

Miami Beach, 8 h du matin © Aurélie Mandon

Être matinal à South Beach est un luxe. Orienté vers l’est, on ne voit pas de coucher de soleil mais son lever. Peu de trafic sur la route, peu d’activité dans les rues. Le Starbuck Café est ouvert, lui, depuis 6.30 am. J’arrête la Dodge devant la vitrine. On a ses habitudes. Je place la cup en carton dans le compartiment prévu à cet effet et redémarre. Direction les grands hôtels. Un remblai permet de se promener entre la plage et les piscines chics. Le sport à la mode ? La marche active, l’I-phone sur les oreilles.

Un tracteur racle le sable et nettoie la plage. Les sauveteurs ouvrent leurs petits abris de bois. Les mouettes sont à l’affût de la moindre miette de cookie. Les loueurs d’emplacement ouvrent eux aussi rapidement leur guitoune. Tout de blanc vêtus, des baskets au polo, ils installent des transats et des cabines privées, toutes orientées vers le soleil. Sodas, magazines, snacks, le service hôtel à la plage. Vers 13 h, les matelas seront assaillis par les clubbeurs venus récupérer de la soirée et se frotter au hasard des rencontres à des opportunités pour la prochaine nuit.

Le vent de terre dessine de gros rouleaux dans l’eau. La couleur est toujours magique, très « bleu des mers du sud ». La journée sera encore belle.

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Carte postale de New York (USA, janvier 2009), par Aurélie Mandon

Publié le : 3 février 2012 à 13h19

Un vendeur de CD de gospel à l’entrée de l'église © Aurélie Mandon

Samedi 5 janvier, première messe de l’église protestante de l’Abyssinian Baptiste Church dans Harlem. On sait reconnaître un touriste et on ne me laissera rentrer que s’il reste de la place.

Les fidèles, donc, sont habillés et coiffés avec élégance. Des centaines de familles noires sont assises bien droites autour d’une scène (le mot est approprié). Elles se sont regroupées autour d’une foi commune, vive. Le message du pasteur est simple : préserver sa foi et sa croyance face à ceux qui sont incapables de la comprendre. Il cite le film Carwash (sic !), utilise l’humour, l’emphase, crie dans le micro, invite à lire un paragraphe de la Bible. Tour à tour paternaliste, brother, show-man. Bien sûr, je suis convaincue. Bien sûr, j’ai envie d’appartenir à cette communauté qui, par-delà les années, a traversé en partie grâce à cette foi toutes les oppressions et a fini par gagner presque toutes les libertés. Le pasteur coach motive, prend du recul, apporte les réponses spirituelles, simples et en lien avec la réalité de tout un chacun. Une autre vision de la foi. Ici, elle s’extériorise, elle soutient et invite à la joie.

La messe est agrémentée des chants gospels qui n’ont pas usurpé leur réputation. Les voix noires sont définitivement les plus belles du monde. Elles semblent résonner dans chaque corps de l’assistance.

Au milieu de tous ces gens, je me suis sentie bien. Par trois fois, j’ai refoulé une larme. Si la foi m’a frôlé un jour, c’était bien celui-ci.

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Carte postale depuis la chambre d’hôtel, Lisbonne (Portugal, printemps 2004), par Aurélie Mandon

Publié le : 3 février 2012 à 12h28

Depuis l’Hôtel Fénix Lisboa, Lisbonne © Aurélie Mandon


« La 7, s’il vous plaît. »
« Tenez. À quelle heure, le petit déjeuner ? »
« 8 h. Room service. »
« Bien, madame !»


Entendre le clic de la serrure qui cède, pousser une porte lourde, sentir l’odeur fraîche des nettoyants, quitter ses chaussures et sentir la moquette épaisse sous ses pieds, se laisser tomber sur un lit king size. Les chambres d’hôtel sont des îles où s’échoir. Fatigué, trempé, courbaturé de longues marches et d’un sac trop lourd, on y dépose ses affaires et son masque. Assez de sourires pour la journée, assez de courir dans les métros.

La chambre est silencieuse mais l’hôtel grouille de vie. Des sons feutrés : des rires dans les couloirs, le « cling » de l’ascenseur, des pas pressés dans l’escalier.

Se préparer un thé Lipton et coller son nez sur le double vitrage. Dehors, la journée se termine, les lumières s’allument l’une après l’autre. Il faudra ressortir quand le ventre aura faim. Plus tard. Pour l’heure, savourer un bain chaud, s’envelopper dans un peignoir épais, faire le tour du lit dans des chaussons en carton toujours trop grands ou trop petits.

Une île. On revient toujours de quelque part et on attend toujours d’aller quelque part. C’est un cocon éphémère avec une ribambelle d’artifices pour vous faire oublier que vous n’allez pas dormir chez vous. J’aime passer la nuit dans les belles chambres d’hôtel. Dans le luxe, la solitude devient une élégance, une attitude gracieuse qui sied à ce non-lieu. Dormir ailleurs, c’est faire comme si on avait oublié son adresse ou jouer à être un autre. La télé ronronne en sourdine. Dans le hall, le réceptionniste a fait place au gardien de nuit. Il veillera une cinquantaine de dormeurs égarés.

Demain, au petit matin, la moquette du couloir sentira le parfum et l’ascenseur le café. Le veilleur aura changé de chemise. Check out.


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Cartes postales depuis le plateau d’Assy (juillet/août 2011), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h48

Déchiffrer

Partir. Et comme souvent (comme à chaque fois ?) partir dans l’ombre portée d’un ou d’une disparue. Cette fois, Amy Winehouse : petite chanteuse blanche à la voix de chanteuse noire, petite « bad girl » qu’on aurait aimé avoir pu sauver, quoique l’on sache par expérience que l’on n’y réussit jamais et que, quoi que l’on tente dans ce sens, on se retrouve toujours désœuvré de son impuissance… J’en étais là de cette réminiscence lointaine, de cet arrière-goût que laisse ce genre de désœuvrement et dont la couleur estompée est si prête à s’accorder à la lumière grise des matins d’été pluvieux, j’en étais là quand il fallait partir…

Et déjà arrivés (une entière journée ferroviaire consommée), « une très légère gaze embuait, assourdissait l’atmosphère » (tout comme dans le récit de Julien Gracq, Un beau ténébreux, qui m’accompagne), alors que nous arpentions les premiers sentiers du plateau d’Assy avec cette indolence attentive de ceux qui veulent, sans en avoir l’air, déchiffrer le caractère profond du massif des Fiz (dans une approche sans doute apparentée à celle de Champollion pour ce qui concerne les hiéroglyphes…). Au détour d’un chemin, alors que nous étions plongés dans notre carte IGN [3530 ET], aux fins précisément de s’y repérer, un marcheur autochtone indiquait d’un doigt « qu’à cet endroit-là, une randonneuse était morte trois mois auparavant ». Ce qui était une autre façon d’indiquer le caractère de ce fameux massif…

Et ce premier soir, passant à l’office du tourisme pour y déchiffrer, cette fois, la météo du lendemain, un homme, assis sur les marches bétonnées, écoutait sur son iMac une conférence de Michel Onfray qui, lui, déchiffrait, sans l’ombre d’un doute, la modernité…

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Carte postale de Baugé (mars 2011), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h45

On arrive à Baugé qui est une commune française située dans la partie orientale du département de Maine-et-Loire, au cœur de l’Anjou et la capitale historique du Baugeois (pour écrire comme Wikipedia qui écrit un peu platement tout de même). Une (petite) ville dont on comprend qu’elle fut prospère, puissante et commerçante (château, grenier à sel, hôtels particuliers en témoignent), une (petite) ville qu’un urbain un peu mal dégrossi déclarerait « ravitaillé par les corbeaux », tant les transports en commun pour la rejoindre (autocars essentiellement) sont rares et obligent le visiteur à y venir de (très) bonne heure.

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Cartes postales de Barcelone (décembre 2010), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h43

Bienvenue dans l’auberge espagnole !

Montalban, écrivain barcelonais comme il en est de pétersbourgeois (André Bitov par exemple) prétend (Barcelones, Seuil, 2002) que Barcelone vit sous l’empire d’une paraphrase de T. S. Eliot : « lire jusqu’à la tombée de la nuit et l’hiver partir vers le Sud ». Y partant en hiver (un 25 décembre aux paysages normands encore généreusement enneigés), ressentirons-nous aussi « cette tentation du voyage vers le Sud… » ? Et quel peut bien être ce Sud-là pour l’Espagne : celui de Pizarro ? Mais avant, dans le train qui nous conduit vers l’aéroport, un vieux Japonais fatigué planche interminablement sur des problèmes de « go », pesant avec minutie et sérieux l’intersection sur laquelle déposer un pion blanc ou noir, comme si l’avenir des cent prochaines années dépendait de ce geste…

Sans transition (ou presque), à Barcelone, sur le passage Joan Borbo, dans un restaurant à touristes qui se nomme Siempreviva (et qui, malgré les apparences, proposera une paella tout à fait convenable), deux Anglaises (l’une maigrelette et pâlotte, l’autre halée et « enrobée ») fêtent Noël, la tête chaussée d’une couronne et le rire émoustillé par la manipulation de crackers (action contribuant indubitablement à la certitude de leur origine anglaise). Elles seront bientôt remplacées par un couple supposé nordique, à cause d’un accent rocailleux, de l’usage d’une langue indéfinissable et d’une propension certaine à ingurgiter un litre de bière en apéritif… Si l’on ajoute que le personnel est majoritairement indien : bienvenue dans « l’auberge espagnole » !

 

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Cartes postales depuis Cathare’s land (septembre 2010), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h41

Mon mouchoir par-dessus

Une journée entière à traverser des paysages en suivant une succession d’autoroutes dont je me souviens que l’on dit parfois qu’elles sont une « saignée » dans le paysage. Au sens de l’ébéniste plutôt qu’à celui de l’apothicaire : cette entaille profonde et de faible largeur faite à l’aide d’un outil tranchant. Tout paysage traversé sans effort (à pied, à cheval, en vélo) défile comme un film, une succession d’images devant lesquelles on finit par somnoler. Sur une aire (erre ?) d’autoroute, cette petite mortaise ombragée dont certaines d’entre elles sont équipées pour venir s’y repaître de carburants, sandwichs et autres confiseries, je méditai sur cette « saignée » qui déroule son ruban monotone, tout juste diverti de panneaux stylisés qui annoncent les lieux (sites et monuments), que nous frôlons et que nous n’apercevons pas, quand un groupe d’airants (ainsi désigne-t-on les automobilistes ayant retrouvé momentanément la station debout) échangeait des informations glanées sur la fréquence radio qui accompagne les usagers de l’autoroute : trente kilomètres en « accordéon » étaient promis pour contourner Bordeaux. Rouler en accordéon signifie avancer à la vitesse d’un escargot (gastéropode connu pour sa patience), et je m’étonnais qu’aucun d’entre eux ne s’insurge en vociférant qu’il était inadmissible d’être ainsi « pris en otage » par l’infrastructure autoroutière et tarifée, comme ils l’auraient vraisemblablement fait s’ils empruntaient un train subissant quelque retard. J’étais prêt à disserter sur le mythe de l’usage de la bagnole comme outil suprême de liberté, que l’industrie automobile leur avait vendu depuis Henri Ford (et dont le modèle s’effrite un peu désespérément depuis une trentaine d’années), qui les avait contaminés au point de vilipender à tout propos la SNCF et ses salariés et d’admettre comme une fatalité les dysfonctionnements conjugués des industries automobiles, pétrolières et autoroutières, dont les effets dépassent largement la production de simples retards… Par lassitude ou bien par paresse, je renonçais à entrer dans leur conversation et je ramassais mes arguments dans ma poche, avec précaution, comme me le conseillait autrefois ma maman : mon mouch


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Cartes postales d'Auvergne (août 2010), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h36

À Chacun sa route. Premier jour : Caen-Langogne (1164 kilomètres ferroviaires)

La veille, j’avais terminé de lire Sur la route de Kerouac, dans la nouvelle édition que Gallimard a judicieusement sortie cette année : une version non censurée, très proche du fameux rouleau de quarante mètres… Me préparant à arpenter un chemin (de grande randonnée), je me demandais : « Une route est-elle un chemin ? » Une question qu’il faudrait poser à celui-qui-marche-sur-le-chemin-des-Chasquis, lui qui y trace sa « route » depuis déjà trois années. Le matin, à la gare de Caen, un type que je connais du temps où organiser des vacances (pour d’autres) était mon métier (si l’on veut bien admettre avec quelque indulgence, qu’il s’agit là d’un métier !), attendait avec une nonchalance consommée une petite fournée d’Américains (dont il me précisait « qu’ils lui étaient présentés comme tels, bien qu’il arrive le plus souvent qu’ils fussent Australiens ou Canadiens ») et qu’il s’emploierait à balader pour la journée, entre plages du débarquement et cimetières américains.

Dans Libé, que je lisais dans le train, un certain Pierre annonçait (dans la rubrique « transports amoureux » de la page consacrée aux petites annonces) qu’il venait de se faire plaquer par sa copine, une semaine avant leur départ pour une semaine de vacances en Grèce et qu’en conséquence, il « recrutait » une vacancière, espérée « belle, sensuelle, intelligente et spirituelle », afin de remplacer la « plaqueuse » et subséquemment amortir son investissement touristique…

Dans la gare de Nîmes, au trafic perturbé par des incendies survenus entre cette ville et Montpellier, on embarquait finalement dans un indolent TER qui égrènerait un chapelet de communes à la toponymie déjà dépaysante : Fons-Saint-Mamert, Saint-Génie-de-Malgloire (et sa cave coopérative intercommunale), Nozières-Brignon, Alès, Grandcombe-la-Pise, Chamborigaud, Genolhac, Villefort, Saint-Laurent-le-Bain (d’où l’on peut rejoindre par correspondance Mende)… petite litanie musicale dessinant avec gourmandise la route vers Langogne : notre destination. 

 

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Cartes postales de Pétersbourg (avril 2010), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h33

Partir en compagnie de Sigismund

Avril 2010. Je pars en compagnie de Sigismund Krzyzanowski. Un type tout à fait épatant malgré un nom tout à fait imprononçable. Sigismund Dominikovitch est russe. Totalement russe. Je veux dire par là qu’il est ce genre d’homme à la trajectoire si singulière que sa vie pourrait devenir le sujet d’une nouvelle ou le point de départ d’un bon roman. Sigismund a écrit plus de trois mille pages (récits, nouvelles, essais, etc.) qui n’ont été publiées que plus de trente ans après sa mort. Trois mille pages débusquées un peu par hasard par une bande de fidèles occupés à classer les archives du poète Chengueli qui, dans un de ces carnets, désignait Krzyzanowski comme un « auteur de littérature fantastique et un génie négligé ». Déclaration qui incita Vadim Peroulter à retrouver ces manuscrits, puis à entreprendre leur publication (ce dont les éditions Verdier se chargent pour la France).

Les histoires que racontent Sigismund sont du genre de celle où Soutouline (c’est le nom du type de l’histoire), qui vit dans une chambre minuscule d’un appartement communautaire (une chambre pas plus grande qu’une boîte d’allumettes), se voit proposer d’essayer un produit encore expérimental, capable (littéralement) de repousser les murs. Ce produit (la « Superficine ») fonctionne si bien qu’une nuit, Soutouline se perd définitivement (corps et âme) dans son appartement devenu immense…

Un type qui vous raconte ce genre d’histoire pendant un voyage en avion est forcément un bon compagnon !

Je pars aussi avec Retour de l’URSS d’André Gide (Folio n° 4984). Je pars toujours en Russie avec un « retour d’URSS » (ce qui est une façon, j’en conviens, de manier le paradoxe comme d’autres l’imparfait du subjonctif : coquetterie littéraire autant qu’anachronisme). Ces « retours d’URSS » sont ces petits ouvrages commis par des intellectuels après un voyage dans le socialisme réel et censés en rendre compte. Pratique tombée en désuétude bien avant la fin de l’URSS (le dernier ouvrage du genre me semble être celui de Derrida) et que j’avais modestement tenté de remettre au goût du jour en publiant un « Back from Pétersbourg » dans la Revue des Deux Mondes. Celui de Gide est une déclaration d’amour à l’idée communiste, à ses concrétisations soviétiques, mais aussi une critique sévère, après le long voyage qu’il effectua au cours de l’année 1936. Gide justifie ses critiques en rappelant que « son esprit est ainsi fait que son plus de sévérité s’adresse à ceux qu’il devrait pouvoir approuver toujours ». Manière de décliner à sa façon un « qui aime bien châtie bien ».

Au moment où je partais de Caen, des cheminots grévistes m’informaient par le biais d’un tract « que les dogmes de la technostructure, à savoir concurrence, compétitivité et rentabilité adviennent comme des prétextes utilisés pour abaisser les conditions sociales des cheminots ». Ce que je lis comme le signe que l’histoire se caractérise par une certaine propension à repasser les plats. Dogmes et technostructures étant régulièrement invoqués (et mobilisés) afin de rationaliser le gouvernement des hommes : communiste hier, néolibéral désormais…

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Carte postale de La Souterraine (février 2010), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h32

Parti dans ce coin-là de France pour « machiner » de possibles solutions d’habitat pour des personnes lourdement handicapées, je me retrouvais à La Souterraine, chef-lieu de canton de la Creuse, petite commune dont je ne connaissais rien, hormis le roman éponyme de Christophe Pradeau, paru chez Verdier en 2005 et dont l’action, de toute façon, ne s’y déroule pas : autant dire que malgré ses qualités, la connaissance de cet ouvrage ne m’était d’aucune utilité pour accroître un tant soit peu les miennes sur ce coin de France, charmant au demeurant. Car, comme le proclame (à juste titre) l’office du tourisme local, La Souterraine est une cité médiévale de caractère, disposant d’un patrimoine culturel et historique remarquable : une église du XIe, la porte Saint-Jean, la lanterne des morts…

Mais il faisait gris en cette fin d’après-midi, la pluie bruinait, froide et lourde et la chambre de l’hôtel de la Porte-Saint-Jean réussissait, en dépit d’un volume habitable très largement supérieur à celui de l’ordinaire d’une chambre d’hôtel classé deux étoiles, à provoquer chez moi des sensations d’étouffement et d’angoisse. Ce qui m’obligeait à quitter la chambre pour retrouver la grisaille pluvieuse du dehors, que ne consolerait pas la sympathie réconfortante et chaleureuse d’un rade, car il fallait bien le constater, La Souterraine semblait peu pourvue en bars et autres cafés… Mais il est préférable de cesser là cette description. Je sais trop combien une humeur (phagocytée par une pluie persistante et une chambre peu amène) peut tromper le regard et estomper l’éventuelle grâce d’un lieu. Je reviendrai d’ici quelques semaines, sans retenue ni réticence, mais plutôt étonné de la façon dont le personnel du Centre de Rééducation, qui se trouve à quelques kilomètres de là, l’emplit d’une douceur qu’on dirait celle qui nous advient lors d’une chute de neige…

 

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Carte postale depuis un quai de gare (février 2010), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h30

... la petite foule matinale habituelle sur le quai de la gare au petit matin. La pluie s’est mise à tomber sur le quai, drue, excessive, presque brutale. Les autres voyageurs ont couru se mettre à l’abri dans l’attente du train qui devait nous conduire à Paris. Une voix cybernétiquement féminine a annoncé depuis un haut-parleur que le train Corail Intercités à destination de Paris, départ initialement prévu à sept heures huit, était annoncé avec un retard de cinq minutes. Je suis resté seul au bout du quai, m’abritant sous le parapluie que j’avais emporté. Je suis resté seul à écouter la pluie tomber sur le parapluie, les yeux fermés, concentré sur ce bruit que font les gouttes de pluie quand leur course frappe le tissu léger et tendu, le petit coup sec de leur explosion, l’amorti suave de l’eau qui s’étale, puis s’écoule avec la tranquillité sans mémoire de l’automne… Je suis resté seul, concentré sur les variations presque imperceptibles du rythme de leur profusion… Je n’étais plus sur ce quai de gare, j’étais sous cette pluie d’orage qui tambourinait sur le tissu léger d’une tente qui abritait mon repos nocturne d’une randonnée sur le plateau de l’Aubrac où fourbu et harassé, je me souvenais mal de ce que fut ce voyage. Et voilà qu’il revenait vers moi, m’indiquant l’improbable chemin : celui que l’on voudrait pouvoir modeler sur une lenteur aussi belle qu’une confidence…

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Carte postale de Wallonie (février 2010), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h29

Partir à Liège (Belgique ou plutôt Wallonie). S’apercevoir que l’on ne sait rien ou presque de cette ville : une évocation cycliste (la « fameuse » classique de début de saison Liège-Bastogne-Liège), une autre à caractère gastronomique (café ou chocolat liégeois) et une dernière à caractère botanique (le chêne-liège) pour laquelle un doute nous submerge aussitôt… Se glisser dans une gare du Nord quelque peu endimanché (sur le quai, des grands-mères accompagnant leur petite fille, des amoureuses s’accrochant aux flancs et aux baisers de leurs amants…), dans l’internationalisme uniformisé d’un Thalys. Et à Bruxelles, devoir renoncer au confort de la grande vitesse pour cause de vitre brisée. Emprunter un omnibus et retrouver l’humanité métissée des voyageurs du cru : jeunes lycéens partant retrouver l’ennui d’un bahut, couples revenant d’une visite familiale, les bras encombrés de paquets, bavardages joyeux et belles trognes d’humains qu’on aimerait savoir dessiner… Se retrouver ébahi qu’au passage d’une certaine ville, les messages d’informations (sonores et visuels) jusque-là distillés en deux langues, ne le sont plus qu’en flamand, s’étonner de cette forme insidieuse de la pandémie de « l’identité nationale » (aucun vaccin disponible à ce jour). Dans notre wagon, engager la conversation en français avec un jeune couple, preuve que des traces silencieuses demeurent toujours dans le tout de ce qu’explicitement l’identité nationale voudrait exclure. Puis au passage d’une autre ville, entendre réapparaître le bilinguisme, comme une frontière qui s’estompe…

Gare de Liège sous la neige : ce monument disproportionné de fer et de verre, geste architectural se voulant de modernité, posé comme un pachyderme dans un magasin de porcelaine. Retrouver le jeune chercheur du Lentic qui nous accueille pour un séminaire de travail devant se tenir le lendemain. Petit tour de la « Cité ardente » dont on comprend aussitôt la grâce que respirent les villes construites à partir d’un fleuve (La Meuse) qui les traverse de part en part. Terminer la soirée (la nuit) dans un restaurant (Le labo 4), qui s’est installé dans un ancien laboratoire de biochimie dressé au milieu d’un parc.

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