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Carte postale de Montbard (février 2010), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h27

J’arrive un « peu juste » gare de Lyon pour saisir le TGV en direction de Dijon-ville, en conséquence de quoi, je monte dans la première voiture et entreprends (littéralement) la traversée du train vers la voiture et la place que les services automatisés de réservation m’ont attribuée. Ce qui équivaut, en cette fin de matinée, à une traversée de solitudes qui ne se différentient que par l’activité qui concentre toute leur attention : fascination d’un écran (et parmi eux, celui qui attaque son clavier d’ordinateur comme s’il jouait une sonate de Brahms), lecture flottante d’un roman de Lévy (pas BHL, mais Marc !) ou rêverie un peu ébahie devant le paysage qui se met à défiler comme hypnotiquement. Et parmi eux cependant, un petit être vivant, presque un nouveau-né avec qui j’échange un regard de connivence, dont l’essentiel veut dire « que se donner la peine de vivre ne peut jamais se faire seul… ». Traversée de paysages enneigés pour arriver à Montbard, ma destination. Montbard, le pays natal de Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon comme me le rappelle la statue qui trône place de la Gare. Buffon qui écrira que seuls « les recueils d’expériences et d’observations sont des livres qui permettent d’augmenter nos connaissances » : ce simple rappel pour celui qui prétend écrire justifierait à lui seul ce déplacement ! Le retour se fera dans un train régional qui s’arrêtera successivement à Nuit-sous-Ravières, Tonnerre, Saint-Florentin-Vergny, La Roche-Migennes, Joigny et Sens, comme une fragile déambulation intime dans une Bourgogne gracieuse et patiente, autre rappel au travailleur pressé qu’il convient toujours de distinguer se déplacer et voyager.

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Carte postale d'Avignon (juillet 2009), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h24

Dans le TGV qui nous conduit à Avignon, un petit d’homme voisine. Encore à l’âge où, petit être étrange, il ressemble à ce que je me figure être (littéralement) un extraterrestre paraissant vivre comme si le mensonge du bonheur allait devenir vérité.

À l’arrivée, la chaleur est massive (quoique franche), suffisamment pour nous mettre un « petit coup derrière la tête » après la climatisation ferroviaire et nous assommer légèrement comme pour nous inviter à l’exercice de la sieste, cette invention si méridionale.

Avignon, ville assiégée de touristes théâtrophiles et occupée par des hordes de compagnies à vocation (et parfois hélas simplement à prétention) artistique au nombre de mille cent soixante-cinq cette année, se murmure-t-il… Avignon, ville où la concurrence est rude, camarade, et où attirer le chaland constitue l’essentiel de l’activité des acteurs quand la modestie de leur compagnie ne permet pas de rétribuer un (le plus souvent une) chargé de diffusion et quelques hommes (femmes) sandwich chargés de délivrer au badaud ce petit morceau de papier où une illustration et quelques lignes s’efforcent de résumer l’essentiel du spectacle proposé… Autant d’occasions de « taper la discute » (autre invention méridionale) avec les artistes. Ainsi d’un spectacle adapté de nouvelles de Tchekhov (dont le succès français ne se dément décidément pas bien que l’on soit toujours à se demander pourquoi) et dont l’intrigue de l’une d’entre elles nous sera racontée dans le détail au point que nous nous interrogerons longtemps après pour savoir si Tchekhov l’a réellement écrite (cette nouvelle-là), ou s’il s’agit d’un inédit…

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Carte postale de la banlieue lyonnaise (octobre 2008), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h18

Venir en ce samedi un peu gris de la fin de septembre à Meyzieu, cette commune pavillonnaire de la banlieue lyonnaise. Venir pour y rencontrer certains de ceux qui ont vécu l’année dernière, ce que notre mémoire infirme se rappelle comme « les émeutes de banlieue »…

Se surprendre à observer comment les « jeunes » qui y sont également invités, habitent l’espace Jean XXIII où doit se dérouler cette rencontre organisée dans l’intention de comprendre pour agir… Être étonné par leur démarche chaloupée qui meut de grands corps dansants qui se donnent à entendre dans le flow déhanché d’une voix qui raconte ceci : « Vous savez, messieurs, mesdames, je n’ai pas de casier judiciaire, je n’ai pour tout dire qu’un seul problème dans la vie : la couleur de ma peau et le crépu trop prononcé de mes cheveux. Un problème à l’origine d’embrouilles incessantes où l’insulte est une ponctuation et la phrase, un mot de slameur… »

Repartir prendre un train, la journée achevée, dans la certitude que nous nous habituons à nous asphyxier de notre propre présent et qu’inventer la vie nécessiterait de pratiquer une pensée qui soit rêvante… Et savoir que le tenter, c’est peut-être cela voyager.

 

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Carte postale de Corbeil-Essonnes (avril 2008), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h17

Prendre un train matinal dont les vitres se brisent résolument sous l’assaut répété de congères qui se sont formées sur la voie, obligeant notre convoi ferroviaire à s’arrêter régulièrement, puis à diminuer sa vitesse (de 160 à 120 kilomètres/heures, nous précisera le contrôleur), nous assurant de la certitude d’un retard conséquent à destination. Un petit groupe de voyageurs bruit d’indignation devant ce qu’ils désignent comme l’inconséquence de la SNCF auprès de qui ils fomentent l’envoi de courriers rageurs et véhéments, tout humilié qu’ils sont (prétendent-ils) dans leur statut de client privilégié (tous arborent des abonnements ou des forfaits, ces offres commerciales dont ils ont cru un peu naïvement à la vérité publicitaire). Je renonce à leur dire combien l’on pourrait s’étonner qu’en une nuit, la neige a transformé les paysages normands en presque Sibérie en plein mois d’avril. J’y renonce, sachant que l’on ne saurait se comprendre : dans un train, même embarqué pour des raisons professionnelles, j’y voyage, alors qu’eux ne font que se transporter. Arriver à l’heure est leur unique but, et l’inattendu un souci et une occasion de plainte : impossible pour eux de simplement s’étonner que les paysages normands se soient transformés en presque Sibérie en plein mois d’avril…

Un métro. Puis le RER. Se laisser glisser vers la banlieue. Ce territoire dont l’étymologie rappelle l’espace d’une lieue autour d’une ville où s’exerçait le droit du « ban » du seigneur, l’espace où se marquait son pouvoir. Et qui se représente plus facilement désormais comme le lieu de la « mise au ban », autant dire du bannissement. « Bannissement » des populations qui y vivent pourtant, montant et descendant à chaque gare où le train s’arrête : Juvisy, Grigny, Ris Orangis, Evry… Corbeil-Essonnes enfin. Autant de villes que notre imaginaire décline au travers d’images de cités, de faits divers toujours un petit peu sordides et, durant trois semaines d’un certain mois de novembre, de voitures et bâtiments publics ou commerciaux en feu…

Mais pourtant des gens y vivent. Des gens de peu comme les nommait Pierre Sansot (qui était d’une certaine façon un grand voyageur). Des gens de peu comme il y a des gens de la mer, de la montagne ou des plateaux, possédant ce don de « peu » comme d’autres ont le don du feu ou de la poterie, des arts martiaux ou des algorithmes…

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Carte postale de Saumur (mars 2007), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h15

Prendre un métro matinal. Le métro des « travailleurs-travailleuses » comme dirait une de nos célèbres, autant qu’infatigables, candidates trotskistes à l’élection présidentielle. Regarder les corps ouvriers se conformer dans la position de ceux qui doivent se contenter de leur existence actuelle. Comprendre que ces corps obéissent encore à d’anciennes règles. Comme les symboles d’une ultime survivance au processus de dérèglement de toutes les règles que Jean Baudrillard (qui vient de mourir comme l’annonce le journal que j’achète au kiosque de la gare) a si élégamment théorisé. Prendre un TGV. S’étonner qu’il s’arrête dans la petite ville de Sablé pour la seule raison que son maire est un ancien ministre de la République et, murmure-t-on, un probable premier ministrable dans l’hypothèse de la victoire de Nicolas S.

Se souvenir qu’adolescent, je m’y étais arrêté deux ou trois fois, après un lent trajet dans un vieil omnibus tracté par une micheline afin d’y passer l’après-midi avec une jeune fille blonde dont j’ai oublié le prénom (et même jusqu’à son visage), mais non que j’en étais amoureux, sans que ce sentiment soit pour elle partagé. Excusez-moi, cela fait un paquet d’années, je crois.

Arriver à Saumur, traverser les deux bras de la Loire sous un crachin qui voudrait nous faire croire à son possible cousinage breton. Entrer dans le petit théâtre à l’italienne, au rideau peint, où se déroule le colloque auquel je dois assister et qui fonde le prétexte à cette expédition professionnelle. À midi, la sirène située sur le toit du théâtre et qui se trouve convoquée pour ses exercices mensuels au nom de l’obsédant principe de précaution, interrompt l’intervention de l’oratrice italienne, qui paraît forcément comme chez elle dans ce théâtre-là… Partir déjeuner et à la table que je choisis, hésiter à reconnaître d’anciennes connaissances. Excusez-moi, cela fait un autre paquet d’années, je crois. Et fêter ses retrouvailles en trinquant d’un verre de Saumur et d’évidence.

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Carte postale de Cherbourg-Octeville (décembre 2006), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h13

En attendant mon train, prendre un café dans un bar. Y remarquer cette jeune femme longiligne et blonde (comme glissant sur le sol ombré d’une journée qui s’inaugure et s’évanouit devant la vie qui s’impatiente), qui délaisse son ami à leur table pour s’avancer, un verre de bière à la main (verre que l’on remarque surtout à cause de l’heure matinale où la scène se déroule et qui fait vaciller d’anciennes représentations obsolètes qui me font croire que les jeunes femmes ne boivent pas de bière, qui plus est à une heure où il n’est pas incongru d’encore y petit-déjeuner…). Elle délaisse donc son ami pour aller rejoindre au comptoir un clochard crasseux, sirotant lui-même une bière (ce qui, au nom des mêmes représentations déjà évoquées, ne m’avait pas interloqué en entrant dans ce bistrot de gare. Et sous le prétexte de lui proposer une cigarette, entame tout simplement une conversation avec lui…

Arriver à Cherbourg-Octeville. Constater le temps chaotique qui habite ce port toujours battu d’un vent du large vigoureux qui produit, comme le proclame l’écrivain Gilles Perrault, les plus beaux nuages d’Europe. Être happé pour un déjeuner par les amis qui y vivent, heureux de cette occasion de retrouvailles, puis rejoindre le lieu où doit se tenir la conférence que je suis censé y donner.

Puis retraverser le Cotentin en ce début d’hiver qui s’annonce par l’inondation des marais qui cernent littéralement la voie ferrée et qui l’impression au voyageur ferroviaire d’être transporté par un aéroglisseur, flottant sur ces vasières du centre-Manche… Ou sur une journée qui s’évanouit devant la vie qui s’impatiente, décidément.

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Carte postale d'Ajaccio (octobre 2006), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h12

S’envoler pour Ajaccio afin d’aller y animer le « premier forum régional des services à la personne » (sic). S’envoler pour ce qui apparaît comme un lieu rêvé parce qu’il est délicieusement clos et que, comme pour toute île, notre imaginaire l’apparente, de près ou de loin, au jardin d’Éden. Un lieu rêvé, particulièrement pour tous ceux qui, apprenant ce déplacement, me gratifient d’un sourire entendu, exprimant leur incrédulité devant le caractère essentiellement professionnel de ce voyage.

Pourtant, comme me le confiera un de mes hôtes, les paysages d’ici sont comme ceux qui les habitent : avant tout tragiques ! Quand je rentrerais, le journal Libération, acheté à l’aéroport, consacrera deux pages à la condamnation de membres du groupe Clandestini Corsi, pour des attentats perpétrés en 2004 à Bastia.

Dans l’avion qui me ramenait vers Paris, vers le continent, vers la France même (comme certains Corses rencontrés nomment le lieu où j’habite, signifiant par là une distinction nationale que contredit l’organisation administrative de notre pays), je soupesais les termes de ce qui ressemble à un malentendu. Malentendu entre la vision édénique, avant tout touristique et vacancière, de ceux qui m’enviaient ce déplacement, fût-il professionnel, et la dimension tragique qui « habite » (au sens où il vit en eux, mais aussi les transforme) les habitants et les paysages de cette île, et que j’ai ressenti et perçu, au fond de moi-même en les rencontrant, me rappelant avec Marcel Proust, que les idées ne sont que des succédanés de chagrin que nous révèlent, avec tant d’acuité, leurs chants polyphoniques…

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Carte postale de La Rochelle (septembre 2006), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h08

Toujours, je suis ce voyageur un peu décalé, jamais tout à fait là où il faudrait être et où peut-être, l’on m’attend. Peut-être est-ce à cause de ma façon de parcourir notre Terre qui est commune à tous et pourtant étrangère à chacun ? Peut-être est-ce simplement ma façon de parcourir la vie… Et cette fois, de nouveau décalé, en arrivant à La Rochelle, après un trajet en TGV accompli dans la proximité d’un enfant, âgé de quelques semaines à peine, qui me faisait me souvenir combien un être de cet âge est si intéressant (peut-être simplement parce qu’il demeure pour quelques jours encore, véritablement étranger avec l’être humain qu’il va devenir pourtant, assurément). Mais cette fois, cependant, ce « décalage », je pouvais le cerner, le mesurer précisément à l’aune du temps qui passe : une semaine. La durée qui me séparait de cette fameuse université d’été du parti socialiste dont les médias, tout à l’excitation de cette période de campagne présidentielle, déambulant dans la rue Saint-Jean-du-Pérot où j’étudiais les cartes proposées par les restaurants qui encombrent les rez-de-chaussée des immeubles de cette rue (activité qui constituait une des raisons de ma visite ici), l’on m’indiquait la place des fantômes des responsables socialistes qui, le week-end précédent, avaient donné à saisir pour une improbable postérité leur image détendues de clients ordinaires…

La nuit largement entamée, je retrouvais, l’espace d’un instant, la justesse de ma place, au bout du quai faiblement éclairé d’une lumière un peu jaune. Le bassin était calme, mais l’on pressentait la force de la houle au-delà de la jetée, et des ombres s’activaient à préparer leur prochain départ.

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