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Carte postale d'Avignon (juillet 2009), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h24

Dans le TGV qui nous conduit à Avignon, un petit d’homme voisine. Encore à l’âge où, petit être étrange, il ressemble à ce que je me figure être (littéralement) un extraterrestre paraissant vivre comme si le mensonge du bonheur allait devenir vérité.

À l’arrivée, la chaleur est massive (quoique franche), suffisamment pour nous mettre un « petit coup derrière la tête » après la climatisation ferroviaire et nous assommer légèrement comme pour nous inviter à l’exercice de la sieste, cette invention si méridionale.

Avignon, ville assiégée de touristes théâtrophiles et occupée par des hordes de compagnies à vocation (et parfois hélas simplement à prétention) artistique au nombre de mille cent soixante-cinq cette année, se murmure-t-il… Avignon, ville où la concurrence est rude, camarade, et où attirer le chaland constitue l’essentiel de l’activité des acteurs quand la modestie de leur compagnie ne permet pas de rétribuer un (le plus souvent une) chargé de diffusion et quelques hommes (femmes) sandwich chargés de délivrer au badaud ce petit morceau de papier où une illustration et quelques lignes s’efforcent de résumer l’essentiel du spectacle proposé… Autant d’occasions de « taper la discute » (autre invention méridionale) avec les artistes. Ainsi d’un spectacle adapté de nouvelles de Tchekhov (dont le succès français ne se dément décidément pas bien que l’on soit toujours à se demander pourquoi) et dont l’intrigue de l’une d’entre elles nous sera racontée dans le détail au point que nous nous interrogerons longtemps après pour savoir si Tchekhov l’a réellement écrite (cette nouvelle-là), ou s’il s’agit d’un inédit…

Dans les rues avignonnaises, un grand-bi véhiculait un piano sur lequel une jeune femme indifférente à la foule festivalière jouait modestement quelques sonates de Bach, comme le surgissement d’un impromptu poétique qui annonçait avec optimisme que « Demain il fera jour ! » [Compagnie des enfants curieux].

On manquerait de peu une représentation de Commedia dell’arte donnée sur des tréteaux dans une cour paresseusement ombragée. Et l’on assisterait le soir venant à un très beau spectacle de clown : « Jonny berouette » [Compagnie les Malapestes], un remuement d’émotions comme exsudés de l’enfance, ce territoire où tout paraissait encore possible, la vie, la mort, l’amour et le reste.

Dans la rue, plus tard, un mime clarinettiste, après quelques mélodies et deux ou trois mimiques un peu convenues ne saura pas qu’il ne saurait rivaliser avec ce petit caillou de l’enfance déposé dans notre poche par ce clown, un peu auparavant, et qui ravivait si tendrement quelques écorchures que l’on croyait guéries…

Le lendemain, petit déjeuner en terrasse où l’on surprenait trois danseuses cherchant dans la presse du jour le papier du journaliste venu la veille voir leur spectacle, en espérant qu’il aurait pensé à les comparer avec la compagnie du troisième âge (sic) de Pina Bauch…

Puis on assisterait en matinale matinée au spectacle qu’annonçait si voluptueusement l’impromptu poétique de la veille, où le comédien s’évertuerait pendant une heure et avec un certain talent à transformer l’héritage héroïque du vingtième siècle en conforme contenu journalistique de magazines tendances…

On manquerait un spectacle de mime (complet) et le soir, celui de la compagnie de l’Oiseau-Mouche, composée d’acteurs dont certains sont étiquetés « handicapés mentaux », complet lui aussi.

Le lendemain matin, avant de repartir, on visiterait le palais des Papes dont la cour résonnerait le soir du spectacle de Krzysztof Warlikowski et énigmatiquement intitulé (A)pollonia et que l’on ne verrait pas non plus… La déambulation serait comme rêvante, frôlant une foule à dominante touristique et pour la plupart « audioguidée » à l’aide de cet appareil qui ressemble à un téléphone portable de ses débuts (quand il n’était pas si ridiculement miniaturisé et qu’il se nommait encore je crois « bebop »). Le visiteur moderne de patrimoine culturel devenait cet humain qui, à l’arrêt ou déambulant, colle ostensiblement un boîtier sur son oreille et/ou en interpose un autre entre son regard et le monde. Même dans ce magnifique bâtiment, difficile de ne pas s’interroger sur les effets que produisent ces « kaléidoscopes » électroniques sur la perception que ces humains ont dorénavant du monde (thème d’un essai à venir auquel je n’arrive pas à me coltiner sérieusement).

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