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Cartes postales d'Auvergne (août 2010), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h36

À Chacun sa route. Premier jour : Caen-Langogne (1164 kilomètres ferroviaires)

La veille, j’avais terminé de lire Sur la route de Kerouac, dans la nouvelle édition que Gallimard a judicieusement sortie cette année : une version non censurée, très proche du fameux rouleau de quarante mètres… Me préparant à arpenter un chemin (de grande randonnée), je me demandais : « Une route est-elle un chemin ? » Une question qu’il faudrait poser à celui-qui-marche-sur-le-chemin-des-Chasquis, lui qui y trace sa « route » depuis déjà trois années. Le matin, à la gare de Caen, un type que je connais du temps où organiser des vacances (pour d’autres) était mon métier (si l’on veut bien admettre avec quelque indulgence, qu’il s’agit là d’un métier !), attendait avec une nonchalance consommée une petite fournée d’Américains (dont il me précisait « qu’ils lui étaient présentés comme tels, bien qu’il arrive le plus souvent qu’ils fussent Australiens ou Canadiens ») et qu’il s’emploierait à balader pour la journée, entre plages du débarquement et cimetières américains.

Dans Libé, que je lisais dans le train, un certain Pierre annonçait (dans la rubrique « transports amoureux » de la page consacrée aux petites annonces) qu’il venait de se faire plaquer par sa copine, une semaine avant leur départ pour une semaine de vacances en Grèce et qu’en conséquence, il « recrutait » une vacancière, espérée « belle, sensuelle, intelligente et spirituelle », afin de remplacer la « plaqueuse » et subséquemment amortir son investissement touristique…

Dans la gare de Nîmes, au trafic perturbé par des incendies survenus entre cette ville et Montpellier, on embarquait finalement dans un indolent TER qui égrènerait un chapelet de communes à la toponymie déjà dépaysante : Fons-Saint-Mamert, Saint-Génie-de-Malgloire (et sa cave coopérative intercommunale), Nozières-Brignon, Alès, Grandcombe-la-Pise, Chamborigaud, Genolhac, Villefort, Saint-Laurent-le-Bain (d’où l’on peut rejoindre par correspondance Mende)… petite litanie musicale dessinant avec gourmandise la route vers Langogne : notre destination. 

 

Homme qui marche. Deuxième jour : Langogne-Auroux (16 kilomètres pédestres)

Le petit déjeuner pris dans la salle du restaurant du Grand Hôtel de la Poste de Langogne invitait à méditer fort matinalement sur une dimension finalement peu prise en compte dans l’étude des sciences touristiques : la flamboyance et l’inventivité (que l’on pressent proche de l’infini) du style post-kitsch d’une certaine hôtellerie française !

Sur le GR4, un peu au nord de la croix de Paillères, nous retrouvions celui-qui-marche-sur-le-chemin-des-Chasquis, venu à notre rencontre et avec qui nous cheminions vers Auroux, petit village de Margeride où Pierre, Marie et Irène Curie louaient, en leur temps, une maison de vacances. Quoiqu’en vacances (déjà), je ne peux m’empêcher de penser, par simple jeu d’homonymie, à Jean Auroux, auteur d’un ensemble de quatre lois qui, en 1982, modifièrent profondément le droit du travail, tout en nous en faisant croire à une nouvelle embellie possible d’un socialisme à la française…

Arrivé à Auroux, je crois y déceler une rupture dans le paysage : le passage des habitations aux toits de tuile à celles aux toits d’ardoises (qui deviendront des lauzes, un peu plus loin, dans les monts du Cantal). Les maisons aux toits de tuiles possédant, par ailleurs, un crépi doré de telle façon qu’il boit la lumière, comme l’écrit Jean Giono (Voyage en Italie), dont j’ai fait un de mes compagnons de marche. Je ne suis pas tout à fait certain de la véracité de cette observation (pas certain qu’Auroux se situe sur cette zone frontière entre un certain Sud et les premières zones de montagne), mais en la tentant, je retrouve avec délectation ce plaisir de « pratiquer » un paysage, d’en décrire les ruptures et d’en éprouver les particularités, même les plus infimes, au rythme brinquebalant de « l’homme qui marche »… Ce rythme nécessaire, prétendent certains habitants d’Amazonie, pour empêcher le soleil de s’écraser définitivement sur terre. De cette première journée, persistent aussi d’autres anecdotes que j’ai promis de ne pas révéler afin de ne pas risquer de fissurer le « mythe » de celui-qui-marche-sur-le-chemin-des-Chasquis (par ailleurs éminent membre de la Société française des Explorateurs) : comment, au milieu d’une forêt de pins, alors que le temps s’annonçait incertain, il se saisit de son « Iphone » afin de tenter de trouver une connexion avec Météo-France ou comment, le soir, il chemina au milieu du village où nous avions fait halte, portant des chaussettes dans ses tongs… Mais de tout cela, vous n’en saurez rien, puisque j’ai promis de n’en rien dire pour cause de légende encore balbutiante à conforter. Il y va de la réputation d’un homme et de celle de la communauté des explorateurs et autres aventuriers…

 

Tête de veau en Gévaudan. Troisième jour : Auroux-Grandrieu (12 kilomètres pédestres, finalement très théoriques, si l’on considère le détour occasionné par l’interdiction du franchissement du vieux pont romain qui enjambe le Grandrieu - le « Grandis Rivus » -, vestige de la voie romaine Agrippa qui reliait Lyon à l’Auvergne et récemment mis à mal par une série d’inondations successives).

Ce matin, les landes granitiques de Margeride, recouvertes presque uniformément de callune, bruissaient du frémissement glaçant du fantôme de la bête de Gévaudan dont on se souvenait qu’elle avait inauguré sa féroce pérégrination pas très loin de là où nous cheminions. Le restaurant de Grandrieu où nous reprenions quelques forces (et où, peut-être également, nous nous réjouissions secrètement de n’avoir pas croisé la bête) était envahi de hordes successives de cyclistes qui traversaient la salle carrelée de leurs démarches chaloupées et fragiles, rythmées par le cliquetis de la cale (qui sous la chaussure permet la jonction avec la pédale automatique), cause principale de cette démarche d’albatros qui retrouverait son élégance et sa légèreté dans l’ascension des cols des monts d’Aubrac. Alors que le bar de la place annonçait pour le lendemain matin (à partir de sept heures trente, sur réservation et au prix de douze euros, vin compris) un petit-déjeuner « tête de veau », comme il le faisait chaque premier samedi du mois, comme on l’apprendrait un peu plus tard, alternant cependant au menu, les tripes, tripoux et autres pieds de cochon, dans le but évident de ne pas trop figer ce qui s’apparentait à un rituel gastronomique, charcutier, tout autant qu’amical…

Maudire Joseph Glidden. Quatrième jour : Grandrieu-Sainte-Eulalie (18 kilomètres pédestres)

Les trois degrés centigrades qu’affichait le thermomètre du camping où nous venions de bivouaquer venaient nous rappeler que ce territoire est, en France, avec celui du Jura, un des plus froids en hiver (bien que nous soyons au début du mois d’août). Et dans le café où nous récupérions quelques calories avant de repartir, les premiers clients pour la tête de veau attendaient leurs compagnons gastronomiques en éclusant quelques Ricard aux vertus vraisemblablement tout aussi calorifiques que notre café, quoique plus festives, à en juger par le brouhaha joyeux de cette réunion fraternelle qui scandait l’arrivée successive des gourmets matutinaux.

Le soleil, profitant d’un ciel désormais uniformément bleu, réchauffait le granite porphyroïde qui nous restituait cette chaleur avec une générosité sans nuance, alors que nous cheminions au travers d’une succession de landes et de bois de résineux presque monotone. Une monotonie accentuée, exagérée même, par le fil de fer barbelé (cette « corde du diable ») qui ceint presque continuellement le GR et qui nous poussait presque, à notre tour, à maudire Joseph Glidden, l’inventeur américain (forcément américain ?) qui transforma définitivement les paysages du Middle West, puis du monde entier.

On retrouvait un duo (père-fils) de randonneurs, entrevu le matin au camping de Grandrieu et un peu plus tard devant l’église de Saint-Paul-Le-Froid (la bien-nommée), devant une bifurcation hésitante du balisage (un chemin forestier récemment ouvert que n’indiquaient ni la carte, ni les indications fournies par le topo-guide). Et alors que nous leur indiquions le « bon » chemin, les voilà se précipitant pour cause de chambres d’hôtes dont ne savions pas si elles seraient vacantes, nous provoquant à une course à l’échalote, que nous refuserions, pas seulement à cause de la chaleur. Finalement installés, rafraîchis et désaltérés par le sirop de fraises des bois (maison) de l’hôtesse, nous partageâmes le repas du soir avec le duo précédent et un couple de français expatriés au Canada et venu « faire » le chemin de Compostelle. Repas qui nous rappelait que la mode des « circuits courts », réinventés avec tant d’emphase par les « bobos-bio » urbanisés, remet au goût du jour des pratiques rurales ancestrales : le fromage de tête et le pâté achetés à deux kilomètres, le coq (au vin) du poulailler, la tomme de vache (dont il sera précisé que la moisissure est naturelle) provenant de la ferme d’à-côté…

 

Mysanthropie. Cinquième jour : Sainte-Eulalie - Le Malzieu-Ville (18,4 kilomètres pédestres)

La fréquentation soudaine du GR que nous empruntons pour repartir (cinq « bonjour » proférés en moins de dix minutes à des marcheurs, soit deux fois plus que pendant les quatre jours précédents) nous rappelle notre proximité avec le désormais fameux « chemin de Compostelle », cette autoroute à pèlerins, dont la partie de celui sur laquelle nous cheminons n’est considérée par eux que comme une bretelle d’accès… Voilà que marcher sur ces chemins si peu fréquentés de Lozère (ce que confirmeront les propriétaires de gîtes et de chambres d’hôtes) attise les braises de ma misanthropie !

En passant à Lajo (1240 mètres, 130 habitants), nous frôlons quelques tourbières et une pensée forcément s’invite pour celles, si férocement embrasées de Russie, résultat d’une canicule persistante et d’une administration poutinienne qui prive, inlassablement, ce pays de pompiers et de gardes forestiers, toutes ces forces au service de l’intérêt général. Ici, dans ces tourbières-là, s’épanouissent des bouleaux nains, ces végétaux habituels des régions arctiques, ce qui prouve, s’il le fallait vraiment, la rudesse du climat lozérien.

Landes de callune, bois de pins et barbelés encore, et nous voilà à Malzieu. Malzieu et sa cité médiévale, en partie détruite en 1632 pour cause d’assainissement par le feu de la cité atteinte par la peste qui anéantit plus de 80 % de sa population. Ce geste sanitaire, qui permit la reconstruction par des maçons italiens (déjà) de nouvelles maisons à l’élégance discrète, simplement figées par la muséification entreprise par des opérations de rénovation censée attiser l’afflux touristique, mais en la privant tout simplement de vie. M’y promenant, je pense aux abords de la cathédrale d’Amiens, le même regret pour cette vie brouillonne, impétueuse, bruyante, odorante (puante même sans doute), dont j’imagine qu’elle a habité, avec une certaine joyeuseté, ces rues, cette vie d’avant la modernité aseptisée dont les poubelles aux règles affichées de tri forcément sélectif en constituent le symbole un peu fat. M’y promenant, je pense à la vieille ville du Mans, à sa vie populaire d’avant sa rénovation muséale et à son ordonnancement quelque peu mortifère d’aujourd’hui… Voilà que marcher sur ces chemins si peu fréquentés de Lozère me fait parler comme un vieux con !

Roudade ou coupétade ? Sixième jour : Le Malzieu-Ville - Ruynes en Margeride (24,5 kilomètres automobiles)

Au café-tabac (« pour les croissants, vous avez une boulangerie à deux pas ! »), où nous petit-déjeunons, nous négocions avec le patron un « taxi ». Un conducteur de camions qui fait aussi, de temps en temps, le ramassage scolaire, accepte de nous pousser jusqu’au Cantal dans la voiture de son fils. Passer de la Lozère au Cantal est une occasion d’apprécier une nouvelle rupture de paysage (cette fois, les lauzes recouvrent majoritairement les maisons cantaliennes), mais également une rupture gastronomique, ce marqueur identitaire des territoires français. Ainsi, un dessert paysan, sorte de pain perdu cuit dans un appareil à flan, agrémenté de pruneaux qui nous était servi sous le nom de « coupétade » en Lozère, se nomme ici, en pays cantalien, « roudade »…

Nous transformons cette journée de « non-marche » en journée touristique et nous nous mêlons aux badauds shortifiés qui traînent leurs savates (tongues) de randonneur à chaussettes, en attendant l’ouverture du Jardin de Saint-Martin, cet écomusée, au pied de la tour de Ruynes-en-Margeride, vestige d’un château du XIIe siècle, qui reconstituent fort plaisamment les milieux naturels de la région et l’action des hommes qui ont façonné ce paysage depuis des générations. On y parle d’agriculture et de cueillettes, telle celle des narcisses (oui, cette plante bulbeuse, à feuilles basales et à tiges creuses, portant de une à plusieurs fleurs comportant chacune six tépales pétaloïdes…), réalisée désormais par des manouches ou autres gens du voyage (oui, ceux vilipendés par notre gouvernement au début de l’été), venus des environs de Saint-Flour, qui les cueillent avant de les expédier vers les distilleries de Grasse où ils seront transformés en parfum ou en huile essentielle…


Rencontre avec Marguerite Jeanne Carpentier. Septième journée : Ruynes-en Margeride - Saint Flour (18 kilomètres pédestres)

Dernier jour de marche et dans le vent qui assèche notre corps comme nous aimerions qu’il le fît de notre âme, nous pensons à cette fin annoncée comme à la fin d’un livre, attendant un passant qui nous en réciterait une seule phrase, nous pensons à celui qui écrit et qui veille, prolongeant son geste pour abolir, ne serait-ce qu’une seule fois, la nécessité d’un point final…

Dans la Halle-aux-Bleds de Saint-Flour (collégiale de style gothique flamboyant construite à la fin du XIVe siècle), une exposition esquisse la vie de Marguerite-Jeanne Carpentier, une des premières femmes à avoir suivi l’enseignement de l’École des Beaux-Arts de Paris (réservé aux hommes jusqu’en 1897) et à avoir fait « école » : l’atelier d’Auteuil où viendront travailler Élise Rieuf ou Charlotte Musson. Trajectoire de détermination d’une femme, à une époque où les filles sont traitées en dilettantes qui n’auront jamais à gagner leur vie comme artistes. Elle écrit dans son journal, rédigé à partir de 1930 et jusqu’à sa mort en 1965 : « Au fond il y a en moi quelque chose de violent et de terrible à contenter. C’est ce qui fait ma force au point de vue de l’art et le danger au point de vue de l’existence. »

Dans le train du retour, je lis quelques pages d’un manuscrit que machine celui-qui-marche-sur-le-chemin-des-Chasquis, là où il se demande si le réseau de routes qu’est le Qhapaq Nam ne serait pas sa « plaza de armas » à lui… La place d’armes est la vie (réseau de chemins ou atelier d’Auteuil…), une lande inconnue, un improbable chemin…

3 Commentaires

Thad

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tvzavr

Ecrit le 09/09/2021 à 16h39

w

AP:Associated Press4Mbappe has had a similar rise up the ranks at Monaco to Arsenal legend Thierry H.

Ecrit le 07/05/2020 à 20h18

puma pas cher homme

vous pouvez les exclure comme votre chaussure de choix pour la paire wedding.a plage de bonnes chaussures de mariage de plage de sable devrait etre-gentil-que cela signifie ils ne doivent pas garder le remplissage avec du sable a chaque fois que vous marchez.ensuite, je mets un nouveau changement de vetements (ceux que je portais avant probablement ete couvert dans les aliments pour bebes et bave dans les 5 minutes qui les porte) directement a partir de la secheuse.le salaire annuel moyen pour cette gammes titre d'emploi entre 3063 $ et $ 601le meilleur conseil serait, laissez les jeunes enfants a la maison avec une baby-sitter.

Ecrit le 22/11/2012 à 03h23

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