Libres propos

Recevoir la newsletter

Retour

Cartes postales depuis le plateau d’Assy (juillet/août 2011), par Jean-Luc Charlot

Publié le : 15 janvier 2012 à 22h48

Déchiffrer

Partir. Et comme souvent (comme à chaque fois ?) partir dans l’ombre portée d’un ou d’une disparue. Cette fois, Amy Winehouse : petite chanteuse blanche à la voix de chanteuse noire, petite « bad girl » qu’on aurait aimé avoir pu sauver, quoique l’on sache par expérience que l’on n’y réussit jamais et que, quoi que l’on tente dans ce sens, on se retrouve toujours désœuvré de son impuissance… J’en étais là de cette réminiscence lointaine, de cet arrière-goût que laisse ce genre de désœuvrement et dont la couleur estompée est si prête à s’accorder à la lumière grise des matins d’été pluvieux, j’en étais là quand il fallait partir…

Et déjà arrivés (une entière journée ferroviaire consommée), « une très légère gaze embuait, assourdissait l’atmosphère » (tout comme dans le récit de Julien Gracq, Un beau ténébreux, qui m’accompagne), alors que nous arpentions les premiers sentiers du plateau d’Assy avec cette indolence attentive de ceux qui veulent, sans en avoir l’air, déchiffrer le caractère profond du massif des Fiz (dans une approche sans doute apparentée à celle de Champollion pour ce qui concerne les hiéroglyphes…). Au détour d’un chemin, alors que nous étions plongés dans notre carte IGN [3530 ET], aux fins précisément de s’y repérer, un marcheur autochtone indiquait d’un doigt « qu’à cet endroit-là, une randonneuse était morte trois mois auparavant ». Ce qui était une autre façon d’indiquer le caractère de ce fameux massif…

Et ce premier soir, passant à l’office du tourisme pour y déchiffrer, cette fois, la météo du lendemain, un homme, assis sur les marches bétonnées, écoutait sur son iMac une conférence de Michel Onfray qui, lui, déchiffrait, sans l’ombre d’un doute, la modernité…



De petites vacuoles de solitude et de sacré

Je retrouve cette lumière grise des matins d’été pluvieux (dont Gracq – encore lui – écrit qu’elle paraît toujours prolonger une insomnie), mais cette fois pour « de vrai », nimbant le massif du mont Blanc, ce qui nous incitait à faire un saut à Chamonix. Chamonix, ce « melting-pot » de touristes. Des plus familiaux aux plus sportifs, mais qui arborent tous (ou presque) un sac à dos : ce signe « barthien » des temps présents. Le sac à dos participe à cette tendance si soutenue de notre époque à vouloir effacer les différences des sexes, mais pas les différences sociales tant leurs marques respectives s’évertuent à distinguer leurs porteurs.

On passe devant le bureau de la Compagnie des Guides de Chamonix, on se surprend à murmurer comme on le ferait devant un temple ou un lieu dépositaire du sacré dans une contrée inconnue, alors que reviennent à la mémoire des pages entières des romans de Frison-Roche, cet écrivain voyageur et l’on se souvient instantanément aussi de la correspondance entretenue avec cet autre écrivain voyageur, l’ami qui marche sur le chemin des Chasquis. Au milieu du « bruit », cette autre tendance si soutenue de notre époque, perdurent cependant au regard attentif de petites vacuoles de solitude et de sacré. Et l’antre de ces guides en est une, assurément.

 

Les « simples »

Le village du plateau d’Assy possède une longue tradition d’accueil médical. C’est au lendemain de la Première Guerre mondiale que l’intérêt climatique du site fut reconnu dans la lutte contre la tuberculose. Transformés depuis en centres de rééducation, en clinique de réadaptation nutritionnelle ou de postcure psychiatrique, ces ex-sanatoriums procurent à ce village toute une population d’éclopés de la vie qui, de bon matin, viennent fumer sur les trottoirs ou se réfugier au fond du petit parc municipal qui jouxte le magasin d’alimentation, où l’on peut se procurer dès potron-minet des canettes de bière, nécessaires pour tenir les journées de soins et d’ennui qui se succèdent… En leur compagnie, la matinée commence toujours calmement, comme enveloppée dans une serviette mouillée… Certains d’entre eux, dans le langage des plantes, on les nommerait des « simples », pleines de vertus pour qui sait les regarder.

 

Une pop star dans le massif des Fiz ? À moins qu’il ne s’agisse de Marie Jego…

Aux alentours du plateau d’Assy, sur les premiers contreforts du massif des Fiz, on traverse une pléthore de chalets un peu apprêtés, un peu ourlés, au vernissage parfait des planches qui les recouvrent, aux potées de fleurs éclatantes et aux bûches de bois coupées et rangées avec une minutie presque maniaque… À leur façon d’être habitées, on comprend qu’elles ne sont que de secondaires résidences et l’on demeure un instant époustouflé par le soin de leurs propriétaires à vouloir restituer ainsi cette promesse de bonheur, à vouloir ainsi la donner à contempler aux passants…

Plus haut, au pied d’un refuge, on croise une jeune femme tout de noir vêtue (hormis ses chaussures de marche), bandeau noir tenant de longs cheveux blonds, anonymement préservée par de larges Ray Ban qui lui dévorent le visage : comme l’apparition gracieuse et un peu éthérée d’une pop star dans le massif des Fiz !

Au lac vert, dont la couleur (verte justement) est inexplicable, hormis si l’on croit à la légende qui prétend qu’un chamois tout blanc y aurait été tué il y a longtemps par un chasseur de Chamonix et que la Dame de la Montagne aurait versé une larme verte comme l’émeraude légendaire qui dort dans la profondeur des glaciers, larme qui aurait fini par recouvrir complètement le corps de l’animal, donnant dorénavant à l’eau du lac cette couleur si particulière. Au lac vert donc, nous rencontrons Irina qui travaille au bureau de France-Télévisions à Moscou. On parle de formats [celui des JT] et des « caractères » respectifs des correspondants des chaînes françaises qui expliquent combien les JT français communiquent si peu sur les réalités russes et l’on parle de Marie Jego et de ses papiers dans Le Monde, à la fois fins et profonds sur ces mêmes réalités russes.

 

Vieillir ou bien ?

Massif des Aravis, un peu au-dessus de Cordon, sur les pentes un peu embrumées, un chalet où une pancarte annonce une messe à 11 heures et en effet, derrière ce chalet, un prêtre, un autel improvisé et une trentaine de fidèles célèbrent en plein air une messe de culte catholique…

Longeant cet impromptu spirituel, je suis attentif à la mécanique qui consiste à poser un pied devant l’autre (mécanique qui, je le sais, peut à certaines conditions affûter l’esprit et faire qu’un peu de solitude existe), je suis attentif aux forces contradictoires qui, à cause d’une chimie convoquée aux fins de réguler ma tension artérielle, semblent vouloir gouverner cette mécanique : pas encore tout à fait à plus de deux mille mètres, le poids de mes jambes et la pression qui comprime ma poitrine me laissent croire que j’ai passé les quatre mille… Le corps se rappelle la technique, les muscles se rappellent la sensation bienheureuse produite par le mouvement de la marche, mais le souvenir semble vouloir délivrer un combat de titan à la mécanique actuelle qui a décidé de résister à produire les watts nécessaires à l’effort en cours. Je me demande si c’est précisément cela que l’on appelle vieillir… Ou bien ?

 

Pérégriner dans Arles

Un nouveau saut ferroviaire nous conduit à Arles (et à ses rencontres photographiques). Qu’est-ce qu’un festival ? Une ville où pérégriner d’endroit en endroit (de place en place) muni d’un plan fourni au festivalier dans le bureau dédié à l’accueil d’icelui et dont le fait de l’arborer (ce fameux plan sur lequel cette année s’affiche un zébu ( ?) bleu sur fond jaune) distingue incontestablement le festivalier de l’autochtone. Et nous pérégrinons de l’histoire des monuments de Wang Qing Song [qui réinvente ni plus ni moins le bas-relief] à la révolution mexicaine [et son histoire graphique de la révolution d’Augustin Victor Casasola, en passant par le travail d’Iturbe Graciala [particulièrement à propos des indiens Seri], puis vers la Terre des sorciers de Maya Goded [la persécution de femmes soupçonnées de sorcellerie dans la campagne mexicaine] ou vers la véritable histoire des super héros de Dulce Pinzon [ces immigrés mexicains qui travaillent aux USA pour envoyer de l’argent à leur famille]…

Pour se dégourdir l’œil, nous pérégrinons vers (puis dans) le musée Réattu, musée joyeusement foutraque dans sa façon de mêler les époques et les styles dans cette très belle demeure d’origine templière, où l’on apprécie aussi de fouler quelques tapis signés Christian Lacroix, enfant du pays.

0 Commentaire

Soyez le premier à écrire un commentaire.

+ Ajouter un commentaire