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« Yamal : traditions et modernité » exposition de photographies de Liudmila Lipatova et Astrid Wendlandt

Publié le : 18 novembre 2011 à 22h38

Regards croisés d'une Russe et d'une Française sur le Grand Nord sibérien. Cette exposition est réalisée en collaboration avec l'administration du district autonome de Yamal, Fédération de Russie. Liudmila Lipatova et Astrid Wendlandt sont allées à plusieurs reprises à la rencontre des Nenets, derniers nomades éleveurs de rennes du Grand Nord sibérien. De leurs voyages respectifs, elles ont rapporté photographies et témoignages. En janvier 2010, les éditions Robert Laffont publient Au bord du monde, une vagabonde dans le Grand Nord sibérien, le premier livre écrit par Astrid Wendlandt dans lequel la journaliste raconte ses séjours effectués auprès des Nenets en 2005, 2006 et 2007. 

Cette exposition a été inaugurée en France le 22 novembre 2011 au Centre de Russie pour la Science et la Culture à Paris, en présence de Liudmila Lipatova et d'Astrid Wendlandt. Il est prévu qu'elle passe le mois de mai à Lyon, la deuxième quinzaine de juillet en Normandie pour le festival « Rencontres d'été, Théâtre et Lectures en Normandie » puis une dizaine de jours en août au festival « Vents d'Est » à la Rosière, en Savoie.

Liudmila Lipatova


À propos de Liudmila Lipatova

Tu vois, je suis vivant, vivant,
Le bien me lie à la Terre,
Le bien me lie aux Dieux,
Le bien me lie à la beauté…

Navarro Scott Momaday

Ces vers pleins à la fois de sagesse et de tendresse pourraient être mis en exergue de la biographie de Lioudmila Lipatova. Ethnographe, écrivain, journaliste, photographe... la liste de ses talents est encore plus longue que celle des professions qu’elle a exercées. En 1975, le destin de cette femme exceptionnelle l’a conduite dans le Yamal, aujourd’hui sa patrie d’adoption.

À présent, Lioudmila Lipatova travaille en tant que chercheur senior au musée Chemanovski du District Autonome Yamal-Nénets situé dans sa capitale Salekhard. Elle a participé à un grand nombre d’expéditions ethnographiques et historico-culturelles. Elle est membre de l’Union des journalistes du Yamal et de la Russie. On lui doit sept livres sur la région. Ses articles, dessins et photographies sont publiés régulièrement dans la presse régionale et centrale.

En 2004, elle a été promue citoyenne d’honneur de la ville de Salekhard et en 2005, travailleuse émérite de la culture, par décret du président de la Russie. Elle possède d’autres titres honorifiques : vétéran du travail et vétéran du Yamal.

Depuis des années, Lioudmila Lipatova anime à la station de radio locale deux émissions hebdomadaires : « Les chemins nomades » et « Le XXe siècle vu par ses témoins ». Elles donne le micro à des écrivains, artistes, scientifiques, voyageurs, enseignants, médecins, ouvriers, pêcheurs, éleveurs de rennes, vétérans du Yamal et autres.

En 2005, elle a décroché le Micro d’argent, récompense du Ve concours régional de la profession journalistique, organisé par la compagnie de radio et de télévision Région – Tioumen. En 2009, elle a obtenu le prix littéraire national Mamine-Sibiriak.

Son nom figure dans l’encyclopédie de l’Elite de la Russie, 8ème édition (2009) dans la rubrique « Les illustres enfants de la Patrie. »

La présente exposition n’offre qu’une petite partie des photos prises par Lioudmila Lipatova lors de ses expéditions à travers le Yamal. Elles ont servi pour d’importants travaux de recherche scientifique sur l’exploration, la conservation, l’histoire et la culture des populations autochtones du Grand Nord.

Ses activités professionnelles l’ont conduite dans diverses parties du district mais ses lieux préférés sont la toundra de la baie de Baïdarata et l’Oural polaire où elle a parcouru à pied, en VTT et attelages de rennes des centaines de kilomètres.

Lioudmila Lipatova raconte elle-même qu’elle a commencé à se servir d’un appareil photo pour  «immortaliser tout ce qui m’a été donné de voir ». « Ici, tout est un vrai régal pour les yeux,» écrit-elle et « évacue votre angoisse existentielle : lacs d’une beauté à vous couper le souffle, torrents bruyants, chutes d’eaux, fleurs diverses et baies succulentes. Les couleurs du soleil couchant dont vous n’arrivez pas à vous détacher les yeux. Mais, par-dessus tout, des hommes – fiers, sages et amoureux de leur liberté – qui, été comme hiver, nomadisent dans ces contrées magiques. Le contact avec eux m’a fait voir le monde autrement.»

Les photos de Lioudmila Lipatova ont été présentées à Moscou, Saint-Pétersbourg et Kiev, puis en Hongrie, Allemagne, Serbie et Finlande.

Partez en voyage dans les contrées du Grand Nord avec Lioudmila Lipatova. Elle partagera avec vous le courage et la sagesse des habitants du Yamal.



Qui sont les Nenets ?

Les Nenets sont d’origine ouralo-altaïque. Leur ethnogenèse est un vaste chantier mais plusieurs scientifiques s’accordent à dire qu’ils seraient des cousins très éloignés des Inuit du Groenland, du Canada et de l’Alaska. Les Nenets auraient migré des plateaux de Saïan, de la région de l’Altaï, vers le nord-ouest en suivant le cours de migration naturel du renne ainsi que celui des rivières Ob, Ienisseï et Irtisch pendant le premier millénaire de notre ère et au début du deuxième. Aujourd’hui, les Nenets nomadisent principalement dans la région du District Autonome Yamal Nenets ainsi que dans le nord de la république de Komi, dans le District Autonome Nenets et certains jusque dans la péninsule du Taïmyr.

Selon la légende, les Nenets se seraient assimilés à des paléo-autochtones de l’Arctique, les Sikhirtya, des hommes de petite taille qui vivaient de chasse et de pêche et habitaient des maisons sous terre. Le mythe vit encore aujourd’hui, relaté dans quelques contes Nenets.

La population Nenets est estimée à plus de 43 000, dont environ plus d’un tiers vit dans la toundra. En comparaison, la population des Inuits du Canada, du Groenland et de l’Alaska est de plus de 150 000. Les Nenets sont parmi les derniers autochtones de Sibérie à avoir préservé leur langue. D’autres, comme les Oroks, les Tofalars, les Youkagirs et les Selkoupes, n’ont pas eu cette chance. Ils sont si peu nombreux que leur dialecte est en voie de disparition, absorbé par la masse russophone. La langue nenets fait partie de la branche samoyède des langues ouraliennes. Dans la toundra, les Nenets côtoient d’autres minorités telles que les Komis et les Khants, des nomades d’origine finno-ougrienne comme les Finlandais, les Hongrois et les Estoniens.

 



Les hommes et les femmes,

par Astrid Wendlandt

La toundra est l’un des environnement les plus hostiles à la vie humaine. L’hiver, le mercure tombe jusqu’à moins cinquante, l’été, la toundra est gorgée d’eau et infestée de moustiques. Survivre jusqu’au soir est un exploit sans cesse renouvelé par ces princes de la toundra.

La toundra fait d’un homme un homme. Elle lui donne sa fierté, elle l’inscrit dans sa vérité. Chaque journée apporte son lot de pièges : traîneau brisé, renne perdu, morsures du blizzard.

Les hommes se relaient jour et nuit pour garder le troupeau de rennes avec la complicité de leurs chiens.

Si peu d’hommes songent à quitter la toundra, beaucoup de femmes, elles, y pensent. Léna, cette jeune Nénets de 18 ans portant une casquette et une chemise en jean, fait partie de celles qui souhaitent vivre en ville. Son ambition est de travailler comme journaliste à Salekhard, capitale du District Autonome Yamal-Nenets. Mais elle sait que trouver sa place dans la société russe sera un aussi grand défi que prendre pour époux un homme qui ne boit pas. L’exode des jeunes femmes vers la ville – phénomène inconnu il y a 20 ans – a créé un déficit de fiancées dans le Grand Nord. Les hommes peinent à se trouver une moitié pour fonder un foyer. Aujourd’hui, le départ de ces femmes représente une menace selon moi plus sérieuse pour la survie du peuple nenets que les ambitions du géant gazier Gazprom ou les changements climatiques.

© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt


L’homme et la femme,

par Liudmila Lipatova

Tout a un ordre dans la toundra, chaque chose a sa place et les tâches et devoirs des hommes et des femmes sont clairement répartis.

L’élevage de rennes, la chasse et la pêche sont par tradition des métiers masculins. Dans la toundra, un Nénets doit savoir tout faire de ses propres mains à l’aide des outils les plus simples. Il doit aussi pouvoir défendre sa famille, son tchoum (tente) et son troupeau de rennes. L’homme décide des itinéraires de transhumance, des regroupements des bêtes et des règles de la vie commune en général.

La ceinture est l’attribut de la masculinité. Selon la légende, la terre autrefois était fluide et changeante et ne prit corps que lorsque le dieu suprême Noum-Toroum la serra avec sa ceinture. Ainsi apparurent les monts de l’Oural qui raffermirent la terre.

La ceinture procure à l’homme toute sa force et sa résistance. Sans elle, il ne sort pas d’une maison ou d’un tchoum. Elle sert à accrocher son couteau, sa pierre à affûter, sa tabatière, son alène et une multitude d’autres objets indispensables au quotidien. Elle contient aussi une force magique, tirée des amulettes, des griffes et crocs d’ours qui le protègent des esprits malveillants.

Dans la toundra, il est aussi difficile pour un homme de vivre sans femme que pour une femme de vivre sans homme. Voilà pourquoi chez les nomades, lorsqu’un des deux époux disparaît, il faut se mettre à la recherche d’un autre partenaire. Peu importe si la femme est plus âgée, si elle a des enfants, ce n’est pas gênant pourvu qu’elle puisse supporter les rigueurs de la vie dans la toundra et les tâches qui y sont associées.

La femme est avant tout gardienne du feu qui brûle dans le foyer qui est l’âme du logis. Pour un Nénets, le feu est l’image même de sa vie, de sa patrie. Voilà pourquoi il n’est pas rare de trouver dans le folklore des nomades du Grand Nord l’histoire d’une femme, souvent une vieille mère, qui garde soigneusement, en le protégeant de ses mains, le dernier tison du foyer, parti d’un grand feu. Elle souffle sur lui, en respirant à peine, pour ne pas laisser s’éteindre le feu de la vie. Une femme sait écouter le feu et prédit d’après son comportement les événements à venir. Mais il faut alimenter le foyer à temps. Et pour cela il faut penser au bois de chauffe (parfois, comme la forêt la plus proche se trouve à mille lieues du campement, il faut faire le voyage pour ramasser les branches de bouleau nain et celles des arbrisseaux rampants de la toundra). Elle doit couper et faire sécher le bois d’allumage.

La femme nénets doit aussi prendre soin de son mari et de ses enfants. Elle est chargée d’exécuter les travaux de couture et ménage, préparer les peaux, monter et démonter le tchoum. Dans la toundra, les tâches de la femme sont aussi difficiles que celles d’un homme.

On jugera de ses qualités selon l’ordre qui règne dans son tchoum, des vêtements portés par son mari, ses enfants et ses proches. Une belle femme dans la toundra est une femme qui porte avec élégance les habits qu’elle a confectionnés elle-même.

On ne voit jamais une femme s’ennuyer dans la toundra. En été, il faut aller chercher de l’eau à la rivière ou au lac, en hiver, il faut faire fondre la neige pour en tirer de l’eau. Il n’y a pas de neige propre à proximité du tchoum car elle a été piétinée par les hommes et les bêtes. Donc, il faut aller la chercher loin. À elle d’allumer le feu, de préparer la nourriture, de donner à manger à sa famille, de ranger la table après le repas, de faire sécher les vêtements trempés des hommes revenus de la garde du troupeau, de la chasse ou de la pêche, d’assouplir leurs effets après le séchage et de les ravauder. Une maîtresse de maison a une multitude de préoccupations quotidiennes.

La femme est la gardienne du foyer familial. Elle enseigne aux jeunes l’amour de la vie non en paroles mais par son travail. Grâce à sa mère, une fille devient une fiancée digne et une bonne épouse. Un homme défend sa famille et protège sa femme en signe d’amour et de reconnaissance. Les époux évitent de manifester ouvertement l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, il s’exprime à travers la réciprocité de leurs gestes au quotidien.

© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova


La toundra,
par Astrid Wendlandt

La toundra est un lieu sacré. Elle ne montre son plus beau visage qu’au marcheur déterminé. S’il croit en elle, elle viendra à lui. S’il la redoute. Elle le dévorera. La toundra ne pardonne pas l’inattention. Il faut garder le cap et la quille droite sous peine de chavirer. Marcher dans la toundra, c’est apprendre une danse. Au bout de quelques kilomètres, le corps se réduit en jambes, l’esprit se vide. Le ciel est si bas qu’il enturbanne la tête. Le regard porte très loin et d’autres dimensions apparaissent...

La complainte de la toundra

Marcher dans la toundra
C’est rebondir à chaque pas,
Une danse, une folle course,
Pas de chat, pas de loup, patte d’ourse.

Dormir dans la toundra,
C’est tenter l’esprit bas,
De ton âme, il se nourrira
Si tu ne lui donnes pas de vodka.

Travailler dans la toundra,
C’est vivre à l’heure des bêtes et du vent,
Craindre le dégel autant que la tempête
Agir vite en prenant son temps.

Voler au-dessus de la toundra,
C’est entrer dans un long songe,
Lacs noirs, veines bleues, bois mort
Tout prend vie sans mensonge.

Naviguer dans la toundra,
C’est prendre la haute mer,
Perdre son cap et ses repères,
Se faire chavirer par des vagues de terre.

Croiser un étranger dans la toundra,
C’est l’inviter à boire le thé,
Passer, oublier ses étrangetés,
Lui tendre une main sûre sans chercher l’amitié.

Aimer dans la toundra,
Cela ne se dit pas,
Car le silence a ses mots doux
Que la raison de connaît pas

© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt

 

© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova


Le nomadisme,

par Astrid wendlandt

Si le nomadisme est garant de liberté, il représente aussi une course permanente derrière la pâture. Réglant leurs mouvements sur la course des astres, sur la double valse de la lune et du soleil, les Nenets accompagnent la migration des rennes, au rythme inchangé depuis des siècles. Chaque famille suit sa route de prédilection traversant toujours la même plaine aride, forçant le cours de la même rivière, triomphant des pièges du même marécage. Le soir, elle érige en quelques minutes son tchoum, tente conique couverte de peaux de renne.

Dans une sourde rumeur, des dizaines de bêtes tirent les traîneaux en bois, chargés de casseroles, d’armes, de filets de pêches et de vêtements. L’été, ils migrent vers le Nord pour protéger leurs bêtes de la chaleur et des moustiques. L’hiver, c’est au Sud, aux lisières des taïgas qu’ils trouveront des parages un peu mieux épargnés des blizzards mortifères. Le Nénets contemporain vit presque à la manière de ses ancêtres, subsistant dans une quasi-autarcie, ne descendant au village que pour se procurer outils, vivres, médicaments et autres produits nécessaires.

Le nomadisme est aussi une vision minimaliste du voyage. Il ne faut emporter avec soi que le nécessaire. Le superflu ralentit la course. Chaque année, les Nénets laissent leurs affaires d’été sur des traîneaux en pleine toundra, souvent sur des plateaux pour les repérer de loin. Ils les retrouveront au printemps. Règle de la toundra : on ne touche jamais aux affaires des autres.

© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt


Sa Majesté le Renne,

par Liudmila Lipatova

Dans un chapitre de son livre Sur les chemins de la vie nomade Lioudmila Lipatova en parle en ces termes : « Les rennes. Il y a beaucoup de choses à dire à propos de ces animaux sympathiques, intelligents et par nature peu exigeants. Je voudrais bien que vous en sachiez plus et que vous appreniez à les aimer comme moi je les aime.

Lorsque la chaleur torride de l’été attise des nuées de moustiques, de moucherons et d’œstres, tous les rennes ont l’habitude de se blottir contre les tentes, appelées tchoum. L’habitat humain, avec la fumée qu’exhalent les foyers, agit comme un répulsif, si faible soit-il, sur les suceurs de sang. Et en vous endormant, à travers la couverture niouk vous entendez soupirer ces bêtes à l’humeur tellement douce…

Un jour, réveillée au petit matin, je me suis hasardée hors de la tente. Qu’est-ce qu’il faisait beau! L’air était pur, je voyais au loin le paysage féerique des montagnes, un ruisseau s’écoulait d’un tas de neige fondante, des rennes paissaient paisiblement. Je me suis dit que je pouvais bien me poser sur un traîneau pour savourer toutes ces merveilles. M’étendre, regarder le ciel, écouter les montagnes…

Un bruit étrange m’a tirée de ma torpeur. Je m’étais assoupie. Entre-temps, les rennes s’étaient rapprochés du campement et en voilà un, tout près du traîneau sur lequel je m’étais affalée, en train de brouter. Ses bois couverts d’une mousse brun foncé pendaient au-dessus de moi. Une fois réveillée complètement, mon regard a croisé le sien. Et j’y ai vu tant de sagesse et de compréhension du monde que cela m’a mise mal à l’aise, comme si je venais d’entrevoir un mystère enfouis au fond des âges. »

Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, les Nénets utilisaient les rennes de préférence comme un moyen de transport et leur élevage ne représentait pas encore leur activité principale. La chasse fournissait en abondance la viande et les peaux indispensables. Avec le temps, la disparition progressive du renne sauvage dans les toundras européennes puis asiatiques et sa valeur marchande ont conduit les Nénets à se consacrer à l’élevage de rennes à grande échelle.

Le renne est devenu la base de la survie dans la toundra. Les premières sensations d’un enfant né sous le tchoum sont l’odeur et le contact avec la peau de renne dans laquelle l’enveloppe la sage-femme. La peau de renne sert aussi de linceul pour ensevelir les morts.

Entre sa naissance et sa mort, le Nénets vit à côté du renne, grâce à lui et comme lui. Le Grand Nord ne tolère pas la légèreté. Sans vêtements de fourrure, y vivre est impossible tant les conditions climatiques sont sévères. C’est le renne qui habille l’homme. Le costume traditionnel des éleveurs est presque entièrement fait de peau de renne.

Une famille nénets, pour pouvoir subsister normalement pendant un an, a besoin au moins de 300 à 400 rennes. La croissance des cheptels crée des problèmes de place car les pâturages sont partagés entre les membres d’un clan. Ils ont l’habitude de donner aux pauvres les bêtes « de trop » en remerciant de cette manière les divinités dispensatrices de bien-être. Les épidémies, les disettes causées par une glaciation du sol, les attaques des loups sont perçues comme un châtiment pour expier les fautes commises par les humains. En hiver, le toit de la tente, le tchoum, est recouvert d’une double couche de couvertures ou niouks fabriquée à partir de 60 à 70 peaux de renne travaillées.

Le narty, le traîneau tiré par les rennes, a toujours été le moyen le plus sûr pour se déplacer dans la toundra. Les rennes d’attelage sont particulièrement appréciés, surtout le renne de tête. Dans la mythologie autochtone boréale, on tire des présages, bons et mauvais du  comportement du renne de tête. Par exemple, s’il éternue, cela peut être signe qu’ un voyage doit être annulé ou une chasse reportée.

Les bois des rennes sacrés ou des meneurs de troupeau sont offerts aux divinités et placés dans des sanctuaires. Le bois des rennes recèle de substances médicinales rares. On extrait des bois calcifiés un médicament dit la rantarine et des bois de velours la pantocrine, un stimulant masculin, très prisés en Asie.

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Un mariage dans l’Oural polaire,

par Liudmila Lipatova

20 mars 2003. Campement au pied de l’Oural polaire. Il fait 30 degrés Celsius sous du zéro. Des attelages de rennes s’approchent du campement. Les traîneaux affichent des ornements festifs. Les femmes, les hommes et les enfants sont parés de leurs plus beaux atours. C’est le jour du mariage de la jeune Véra Valééva et d’Igor Laptander. La mariée a 18 printemps, lui en a 21.

Le mariage se déroule dans la toundra de Baïdarata (zone au sud de la baie du même nom comprenant également le versant oriental de l’Oural polaire). Elle se distingue des autres toundras du Yamal par son mélange de culture unique entre clans Nénets, Khantys et Komis-Zyriany qui y nomadisent depuis des générations.

Nous voilà donc au campement des parents de la mariée. Tout est prêt pour accueillir le fiancé et sa famille. Nous voyons des adolescents fixer verticalement le khoreï (une perche servant à stimuler les rennes) pour lancer sur lui des tynzians (lasso) à distance, un jeu traditionnel. D’autres jeux et concours sont au programme comme le bâton que l’on tire vers soi, courses de traîneaux, etc...

Les invités arrivent avec toute leur famille. Deux traîneaux transportant la dot de la fiancée sont garés devant le tchoum (la tente). On les a chargés de literie, de couvertures pour le tchoum, de vêtements d’hiver en peaux de renne, de chaussures kissy et tchiji et de bien d’autres choses encore. Des nattes en branches tressées sont jetées par-dessus. Les invités regardent avec un vif intérêt les vieux ornements de harnais en bronze très prisés par les nomades. Un khoreï peint en rouge repose sur un traîneau. On y attachera la ceinture masculine et le châle de la mariée et on l’adossera contre le tchoum quand la cérémonie aura commencé.

Comme le veut la coutume, Véra a été demandée en mariage par des émissaires, Ivan Nerkagui et Egor Laptander. Ils sont venus négocier l’union auprès de ses parents. Ils ont approuvé parce que la jeune fille était d’accord. Autrefois, on n’aurait pas demandé son consentement. Les temps ont changé. Le prix dix rennes fut fixé, normal par les temps qui courent. La famille du fiancé était modeste. La date du mariage aussi fut négociée par les émissaires.

…Nous voyons apparaître au loin les traîneaux avec le fiancé et sa suite. Ils s’arrêtent à une centaine de mètres du campement. Les parents de la mariée s’avancent vers eux pour partager avec aux certains détails de l’événement. Enfin le rite nuptial peut commencer. Les traîneaux des invités tournent trois fois autour du campement. Deux rennes sont sacrifiés. L’un a été fourni par les parents de la mariée, l’autre par ceux du fiancé. Les deux bêtes ont été abattues en même temps. Les éleveurs ont vite fait de les dépecer. Les femmes se sont lancées dans une épreuve d’adresse pour voir qui enlèvera le plus rapidement les pattes (on appelle ainsi le pelage recouvrant le pied du renne) et la peau de la tête du renne.

Pendant ce temps-là, les femmes arrivées avec le fiancé se sont lancées à l’assaut de l’entrée du tchoum. Elles se sont efforcées de pénétrer chez la mariée, alors que celles qui étaient à l’intérieur leur en interdisaient l’accès. Il y a eu une bousculade. Finalement, la chose s’est arrangée avec la remise des cadeaux à la suite de la mariée : des châles et des peaux de renard blanc, si bien que le fiancé et ses invités ont pu pénétrer le tchoum.

Ensuite tout le monde a pris place autour des carcasses de renne ouvertes encore fumantes dans la neige. On se régale. Dans le Grand Nord, le sang et la viande crue apportent vitamines et oligoéléments précieux.

Comme le tchoum de nos hôtes n’est pas assez grand, les noces vont continuer dans un campement voisin où les invités pourront passer la nuit. La mariée a été enveloppée dans une couverture et amenée chez les voisins. Plus tard, la fête va continuer dans le tchoum du fiancé où des tables couvertes de mets attendront les invités. Le lendemain matin, certains d’entre eux repartiront à leurs campements. D’autres iront chez les parents du fiancé pour continuer la fête.

Souhaitons paix et amour aux jeunes mariés! Qu’ils aient beaucoup d’enfants et vivent prospères et heureux !

© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova


Les enfants,
par Astrid Wendlandt

Les enfants nénets sont maîtres d’un espace infini en même temps que de leur destin. Dès leurs premiers pas, ils apprennent à survivre seuls et sont élevés avec peu d’autorité. Ils restent bien libres par rapport aux enfants européens dont chaque fait et geste est contrôlé. Vers cinq ou six ans, ils sont déjà capables de conduire un traîneau à rennes et manier le lasso pour attraper les rennes.

Mais si les interdits sont rares pour un petit Nénets, il reste les tabous et les lois sévères de la toundra. Aussi, ils participent très jeunes aux corvées quotidiennes du clan. Les garçons aident leurs pères à s’occuper des rennes, les jeunes filles fabriquent des manteaux en peaux de renne avec leurs mères. Pour s’amuser, elles confectionnent des poupées avec des becs de canard pour tête et jouent à la dînette avec des capsules de bouteilles. Les garçons tirent sur des canettes avec des lance-pierres ou un arc et des flèches et testent leur force en se battant amicalement.

À la fin de l’été, de nombreuses familles nomades se séparent de leurs enfants pour les envoyer à l’internat où ils resteront jusqu’au printemps. Des hélicoptères ratissent la toundra au début du mois de septembre pour les emmener. Pour certains petits, l’expérience est un déchirement, un choc culturel, dont ils se remettent difficilement.

Mais beaucoup ne resteront que quelques années à l’internat, juste assez longtemps pour apprendre à lire et à écrire, et reviendront vivre avec dans la toundra. D’autres, selon leurs circonstances familiales et financières, s’établiront dans un village et tenteront de s’inventer une nouvelle vie. 

© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt© Photo Astrid Wendlandt


Les petits princes de la toundra,
par Liudmila Lipatova

Comme leurs ancêtres il y a bien des siècles, beaucoup d’enfants nomades naissent encore dans la toundra.

Immédiatement après sa naissance, le bébé est placé dans un berceau provisoire parce qu’il est considéré comme n’étant pas encore pur. Après la chute du cordon ombilical, le berceau est abandonné et l’on fabrique pour l’enfant un berceau neuf. Pour protéger le nouveau-né contre les mauvais esprits, une griffe d’ours est fixée à l’avant du berceau. L’enfant reste attaché au berceau par des sangles souvent ornées de boutons de cuivre. Ses langes sont en peau de renne ou de renard polaire.

Des petits cadeaux (morceau d’étoffe, foulard, etc...) sont offerts aux femmes âgées ayant assisté la mère pendant l’accouchement. La sage-femme reçoit entre autres le couteau qui a servi à couper le cordon ombilical.

Quand le bébé a atteint cinq ou sept mois, on lui fabrique une malitsa (un manteau sans manches) et une salopette en fourrure. Les filles et les garçons sont habillés de la même façon. À l’âge de trois ans, la petite fille reçoit son premier vêtement de jeune femme : une yagouchka ou manteau en fourrure. À partir de moment là, l’éducation commence à se différencier en fonction du sexe de l’enfant.

C’est au moyen de jeux et de simples travaux de ménage que les Nénets développent chez les jeunes enfants les facultés propres aux véritables seigneurs de la toundra. Les garçons et les filles apprennent à construire un petit tchoum et répartissent les tâches ménagères entre les membres d’une famille imaginaire installée dans cette maison joujou.

Chez les garçons, les occupations principales sont la chasse et la prise d’un renne au lasso (des fragments de traîneau, des cors ou des rameaux de buisson peuvent alors incarner les rennes). Un garçon âgé de sept ou huit ans se fabriquera déjà un vrai lasso pour attraper les rennes les plus dociles et calmes. Certains enfants se voient déjà confier à cet âge les rennes d’un traîneau léger sans convoi. Le contact des rennes, surtout jeunes ou domestiqués, fait grandir chez l’enfant un amour immense pour ces bêtes et un intérêt vif pour le travail d’éleveur. Un jour, il deviendra un véritable maître de la toundra.

Jouer au chasseur est une autre occupation des garçons nénets. Leur première arme est un arc à flèches conçu suivant le modèle ancestral. Des objets tels que des bâtons, des planches, des mottes de terre, etc ... servent de cible. Le but des exercices de lancement de lasso et de tir à l’arc est de développer la précision de la vision, l’adresse et la dextérité.

Les filles, en jouant, assimilent les éléments des travaux qui incombent aux femmes mères et apprennent à respecter des règles de bonne conduite. Au début, elles le font d’une manière inconsciente, en imitant ce qu’elles voient chez des adultes. Conformément à la tradition, les futures fées du logis s’initient à l’art de confectionner des fils à coudre avec des tendons, à apprêter, tanner les peaux, à confectionner des vêtements et des chaussures. En mettant à profit l’expérience de leurs sœurs aînées, elles fabriquent elles-mêmes leurs poupées. En plus des poupées incarnant les adultes, elles fabriquent des berceaux avec une toute petite poupée.

Dès l’âge de sept à huit ans, la fillette est initiée par sa mère et ses grandes sœurs aux occupations à proprement parler féminines. L’apprentissage de la couture de vêtements et de chaussures commence par la fabrication de sacoches dans lesquelles les filles rangent leurs morceaux de fourrure, d’étoffe, leurs perles, etc ...

Mais les filles ne font pas que coudre et jouer aux poupées. Dès leur plus jeune âge, elles savent qu’elles doivent aider leurs mères et leurs grandes sœurs dans leur rude travail quotidien : faire et défaire les bagages, escorter un convoi de traîneaux, ramasser du bois de chauffage, surveiller leurs jeunes frères et sœurs.

Avec ces jeux il ne s’agit pas simplement de copier le comportement des adultes mais de préparer les enfants à leur vie future, léguer à sa progéniture l’expérience des aînés acquise au fil des ans. Ainsi se transmet de générations en générations le savoir-faire traditionnel préservé jusqu’à nos jours par les nomades de la toundra.

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La vie spirituelle,
par Astrid Wendlandt

Les Nénets cultivent une représentation verticale de l’univers. Tout ce qui est bon vient du haut, tout ce qui est mauvais vient de la terre. Dieu, appelé Noum, règne sur les sept ciels de la toundra – les sept niveaux de paradis. Il vit au-delà du soleil, de la lune et des étoiles. Personne ne peut l’atteindre, même le chaman le plus puissant.

Nga, le frère de Noum, est le dieu de la mort et des maladies. Il se nourrit de l’âme des vivants. Il règne sur les sept sous-sols de la terre, les sept niveaux de l’enfer, privés de lune et de soleil. C’est là que vivent les puissances maléfiques que les chamans cherchent à apaiser. Ainsi, les morts ne sont-ils jamais enterrés mais couchés dans des tombeaux en bois. Leur traîneau reste près d’eux pour leur voyage dans l’arrière-monde.

Une femme nénets me montre sa poupée, Myad Poukhacha. Elle veille au bien-être du foyer. Elle protège les femmes lors de l’accouchement et prend soin de l’âme du nouveau-né. Myad Poukhacha est transmise par une proche lors des noces et sera traitée comme un membre de la famille.

Le Nénets souriant malgré les moustiques s’appelle Vassili. Il est le fils d’Essako, dernier chaman de la toundra de Baïdarata, mort à l’âge de cent deux ans. Essako était né paraplégique. Il a commencé son initiation chamanique à l’adolescence. À trente et un ans, il pouvait marcher.

Pour Vassili, le chaman est le médecin de l’âme. Si un homme est malade, c’est qu’un esprit s’est acharné sur lui et pour l’apaiser, le sorcier doit entrer en contact avec cet esprit. Le chaman canalise les énergies invisibles des mondes parallèles. Il voyage à travers d’autres dimensions pour communiquer avec ces forces imperceptibles.

Grâce à ses esprits auxiliaires, le chaman guérit, prédit l’avenir et s’entretient avec les morts. Certains sont meilleurs que d’autres à ces tâches. Lorsqu’un homme devient chaman, il meurt et renaît. Son initiation est longue et douloureuse.

Le chaman, tadebeya en langue nenets, est celui qui sait, celui qui se souvient et celui qui saura. Gardien de la mémoire collective, il s’abreuve de la parole des anciens et transmet ses connaissances aux jeunes. Il préserve l’histoire de son peuple qui ne passera jamais de la civilisation orale à celle de l’écrit et chante des légendes au coin du feu devant des auditeurs captivés.

Le traîneau portant une boîte en bois est un traîneau sacré. Le coffret contient les idoles de la famille, ceux avec lesquels les Nénets s’entretiennent pour demander de l’aide. Ils sacrifient régulièrement un renne et performent des rituels précis pour exprimer leur dévotion.

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Des lieux sacrés dans la toundra,

par Liudmila Lipatova

La cosmogonie des autochtones du Grand Nord sibérien est composée d’une multitude de divinités et d’esprits. Les esprits peuvent habiter un rocher, une montagne, un arbre, une rivière, un lac  ou un autre lieu. Ils contrôlent  tout ce qui vit et passe sur leur territoire. Certains esprits peuvent frapper les rennes autant que les hommes, les faire tomber malade voire même les tuer. D’autres esprits protègent les Nénets et leurs rennes. Les esprits des ancêtres viennent en aide si on les traite avec respect et que l’on vit en accord avec les règles de la toundra.

Les peuples du Grand Nord communiquent avec les divinités et les esprits dans des lieux sacrés : près d’une pierre à la forme un peu fantasque, au sommet d’une colline qui change d’aspect selon le temps, au bord d’un lac. Chaque lieu sacré est unique. Il possède une énergie naturelle puissante et véhicule des images mystiques. Un sanctuaire est construit avec les bois et les crânes des rennes sacrifiés. On y trouve aussi des crânes d’ours et des pièces de monnaie. Ils servent d’offrandes aux esprits protecteurs. Un esprit est toujours invisible mais sur terre il est incarné par une idole (siad’), une figure humaine en bois dépourvue de bras aux traits à peine esquissés.

La toundra du Yamal compte un grand nombre de lieux sacrés et de cimetières. Le cimetière en nénets se dit khalmer « la forêt » ou « l’île des morts. » Il est souvent situé sur des élévations de terrain au bord d’une rivière ou d’un lac. Il est composé de deux ou trois tombes jusqu’à plusieurs dizaines. Sur un khalmer, les morts ne sont pas ensevelis. Chaque clan possède son cimetière. Il arrive que les restes humains soient longtemps ballottés sur un traîneau avant que le chemin de la transhumance ne passe à proximité d’une sépulture.

Chez les Khantys, autre peuple nomade de la toundra, le cimetière représente le « village des morts » appartenant à la communauté. Les cimetières sont aménagés dans un endroit élevé, sec, au sol sablonneux. Les Khantys du Nord mettent leurs défunts en terre et leur érige une maisonnette en rondins comme monument funéraire. Autrefois, les Khantys déposaient leurs morts dans des embarcations.

Les Khantys qui habitent sur la rivière Synia (près de l’Oural polaire) possèdent des sépultures pour les âmes en peine, ceux qui sont morts de façon subite et non naturelle : les suicidés et ceux qui par exemple ont péri à la suite d’une épidémie, d’une noyade ou d’un accouchement. Pour les Khantys, les âmes de ces hommes n’arrivent pas à trouver le refuge ultime et à reposer en paix. L’âme d’un tel mort (iskhor), en errance perpétuelle, peut se transformer en esprit maléfique. Il faut lui faire des offrandes pour qu’elle reste bienveillante. Sinon cette âme sera tentée d’effrayer les êtres vivants, de voler l’âme des petits enfants et d’infliger à ses parents des maladies et d’autres ennuis. 

Dans de tels cas, on fabrique une poupée, dite oura, qui incarne le défunt et son âme. On la place dans une maisonnette spéciale appelée aussi oura aux cotés d’effets personnels ayant appartenu au défunt. Le mot oura désigne également une espèce de « village » constitué par de telles constructions. L’auteur de l’exposition a pu assister en personne au rite de commémoration de ces ouras.

Chez les Nénets comme chez les Khantys, le rituel funéraire exige qu’on mette dans une sépulture tous les objets utilisés de son vivant par le défunt car ils lui serviront dans l’outre-monde. S’agissant d’un homme, on lui laissera son couteau, sa hache, parfois son fusil (autrefois, c’étaient son arc et ses flèches) et d’autres outils de travail et de chasse, de même qu’une écuelle avec sa cuillère, sa blague à tabac et sa pipe. Pour la femme, ce seront le racloir pour tanner les peaux, les accessoires de couture, une tasse, une cuillère et d’autres objets du quotidien. Tous les effets doivent être troués, percés ou brisés. Selon les croyances des peuples boréaux, dans l’au-delà tout se passe en sens inverse. Le soleil brille de bas en haut, les hommes marchent sur la tête et les objets cassés s’avèrent intacts. On trouve de nos jours dans la toundra des sépultures où une croix a été plantée ce qui n’empêche pas d’y suspendre un khoreï ou une chausse-trappe, manière de montrer que le défunt avait été un grand chasseur, ou une clochette pour s’entretenir avec lui à voix basse.

Les défunts sont incarnés par des poupées en bois dites nguytyrma ou sidria avec une piécette ou un bouton en métal pour visage. Ces figurines demeurent aux côtés des hommes, dans leur logis. Ils leur font des offrandes et des sacrifices.

Chez les habitants du Yamal, un homme nomadise toujours après sa mort et il continuera de vivre selon les mêmes lois que de son vivant. À côté de sa sépulture, se trouve son traîneau ou son canot, l’un ou l’autre renversé, pour l’accompagner dans son voyage perpétuel.

© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova© Photo Liudmila Lipatova
1 commentaires

Olivier

Je conseille le merveilleux ouvrage de Mme Astrid WENDLANDT. Un voyage enchanteur, très bien écrit. Merci ! Olivier B.(Ekaterinbourg)

Ecrit le 05/12/2011 à 04h56

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