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« L'Appel de la route – Petite mystique du voyageur en partance », de Sébastien Jallade

Publié le : 19 novembre 2011 à 22h31

« L'Appel de la route – Petite mystique du voyageur en partance », de Sébastien Jallade

Titre : L'Appel de la route – Petite mystique du voyageur en partance
Auteur : Sébastien Jallade
Éditeur : Transboréal
Parution : mai 2009
2e édition : novembre 2009
Format : 16,50 x 11 / 96 pages
ISBN : 978-2-913955-82-0
Prix indicatif : 8 euros

L’ouvrage développe la mystique moderne du voyage et, à partir de la riche expérience de l’auteur, explore les motivations, conscientes ou inconscientes, des candidats au départ. Indépendamment du type de voyage, de sa durée ou du pays traversé, quelles aspirations profondes relient les voyageurs contemporains ? Partir est un manifeste : c’est l’expression d’une défiance à l’égard de son propre système de valeurs, dans le secret espoir de contribuer à le changer au retour. Qu’il se risque dans une région déserte ou aborde l’agitation des métropoles, le voyageur est en quête de liberté et choisit son identité. L’exacerbation du sujet en action et de sa « mise en danger » permet d’affronter une géographie (naturelle ou humaine) radicalement différente. L’enjeu : la conquête de soi, par laquelle le voyage ne se limite plus à un défi mais reflète les contradictions et les ambiguïtés de l’existence. Comment en effet expliquer de façon rationnelle une démarche qui, le plus souvent, ne l’est pas ?


Extraits :

Appels (p. 20-22) :

« Tout nous pousse, dans l’époque qui est la nôtre, aux exils passagers ou durables : engagement humanitaire, études à l’étranger, défis lointains, expatriation, relations amoureuses… Nouveau dogme contemporain : une vie sans départ ne pourrait se concevoir comme réussie. En quarante ans, la planète a entamé une mutation sans précédent. Un million de Français vivent d’ores et déjà à l’étranger. Six millions d’entre eux ont désormais au moins un parent, si ce n’est eux-mêmes, né à l’étranger et partagé entre plusieurs cultures. Le grand va-et-vient des identités a commencé ! Daniel, un ami d’enfance français vivant à Lima et marié à une Péruvienne, m’a fait part de sa surprise et de sa fascination : dans la file d’attente pour obtenir la nationalité de sa terre d’accueil, il était entouré d’une myriade de destins incongrus, inimaginables quelques années plus tôt. Devant lui, un Japonais souhaitant créer son entreprise d’informatique sur les rives du Pacifique, “parce qu’il aime le surf”. Derrière lui, un Allemand impatient de cultiver des plants de quinoa sur les contreforts des Andes. En face, un Vietnamien parlant couramment français, qui venait apprendre le quechua. Au même instant, je vivais au Caire, en Égypte, et je conversais avec un étudiant sénégalais qui s’ennuyait ferme à l’université islamique d’al-Azhar. Il partait le mois suivant poursuivre ses études dans une université aux antipodes de son pays d’origine, celle de Wuhan, en Chine. La même semaine, un autre ami français, mélomane passionné d’opéra et de spectacle vivant, larguait les amarres pour s’installer à Buenos Aires, dans l’espoir d’intégrer le prestigieux théâtre Colón… Une nouvelle façon de vivre son identité est en marche. Il est évidemment délicat de comparer les exils volontaires de tant d’autres motifs de migration. Réfugiés politiques, environnementaux, économiques ne sont pourtant pas si différents des immigrés, expatriés ou simples voyageurs. Toutes ces catégories de nomadisme que Paul Virilio nomme “l’exotisme du malheur ou du bonheur”. En 2040, un milliard d’hommes vivront loin de leur terre natale. Ils font de chacun de leurs exils une odyssée moderne. »  


Le chant du départ (p. 32-34) :

« Je perçois le voyage comme un acte fondateur. Notre aspiration à l’inconnu en est le ciment. À l’heure où j’écris ces lignes, il me suffit de regarder autour de moi pour découvrir tous les amis ou simples connaissances qui s’engagent sur leurs chemins de traverse. À chaque génération son vent de routes nouvelles. La variété infinie des ambitions qui animent tant d’anonymes aujourd’hui fait du chant du départ un acte éminemment sensible et humain. Ils dessinent en permanence un magnifique inventaire des horizons individuels qui guident chacun de nous… Fabien est médecin. Il est parti un jour, dans un geste radical, seul, au Cameroun. Il a fait le choix d’un hôpital de brousse au nord de ce pays. Fuyant la bonne conscience des générosités trop encadrées, la liberté de son projet s’exprime dans son refus d’intégrer les structures prévues pour cette forme d’engagement. Les ONG et institutions internationales – instruments libérateurs d’hier pour tant de générations de médecins – ne sauraient désormais répondre pleinement à son désir d’absolu. Comme s’il devait construire lui-même le fil de son rapport à ce pays, transgresser les frontières culturelles et sociales du lieu qu’il a choisi tout comme celles de ses limites, il a préféré la richesse et la précarité de la solitude. Il a entrepris là un acte éminemment libre, brisant les chaînes des itinéraires balisés de son identité professionnelle autant que personnelle. Plus que des mots, c’est la beauté du geste qui importe. Elle évoque une poésie intime, une volonté délibérée d’éprouver dans sa chair les aléas d’existences qui s’épanouissent à la marge des identités sédentaires. Le voyageur moderne prend le mot “utopie” à sa racine et renoue avec son origine sémantique – un hors lieu, un non-lieu – avec la clairvoyance de celui qui embrasse le monde à pleines mains. Par l’éloignement aux autres, ce retrait volontaire exprime un souhait. Loin du brouhaha de ses origines et de ses certitudes, il part pour observer, pour forger l’acuité de son esprit critique. »


La fin de l’exotisme (p. 55-56) :

« Je garde toujours cette anecdote en réserve : je voyageais pour la troisième fois au cœur des Andes, sans trop bien savoir ce qui m’attirait dans cette région du monde. J’y revenais encore et toujours avec, à chaque fois, le besoin de conserver intactes les clés de l’enchantement. Un jour, je parlais à une couturière, formatrice dans une ONG de fabrication artisanale de poupées. Tout, le décor de maisons en briques et en torchis, la nature rude des 4 000 mètres d’altitude, la tenue traditionnelle de cette femme et l’atmosphère du lieu, contribuait à me faire croire à une scène “authentique”, quête futile et dépassée s’il en est. Quand elle sortit de sa poche, sous mon regard médusé, son téléphone mobile de dernière génération pour répondre à son fils exilé dans le sud de la France, je n’en menais pas large avec mon illusion d’exotisme ! Puis elle me confia qu’elle allait regarder, le soir même, un jeu télévisé au concept exporté sur tous les écrans de la planète. Je pris à cet instant conscience que tous ces départs répétés dans les mêmes lieux de la Cordillère, loin d’être une quête répétitive à la recherche d’un dépaysement non satisfait, me permettaient surtout de construire ma liberté. Du déracinement, je souhaitais aller vers l’enracinement. Du dépaysement, qui n’existait plus à force de retours sur ces mêmes lieux, je touchais à l’“empaysement”. Alors que j’écrivais à un ami resté en France, quelques jours plus tôt, que je me sentais parfois “interdit de voyage” pour ne plus réussir à croire à l’enchantement de l’exotisme andin, je me rendais compte que mes départs n’étaient plus, et depuis longtemps, autre chose qu’un chemin personnel à construire. »


Vivre à l’étranger (p. 62-66) :

« Cet autre si convoité, chacun de nous aspire à en faire un jour son voisin. Je voudrais prononcer ici un petit éloge de la sédentarité à l’étranger. Et si, non contents d’aller scruter des emblèmes archéologiques mondialement connus, des pèlerinages offerts en pâture à des milliers de fidèles ou de touristes, le monde ne nous apparaissait pas plus familier en allant côtoyer le langage des petits gestes ? Il s’agit là d’une expérience de la banalité loin de chez soi. La vie quotidienne offre un inépuisable vivier d’apprentissage. Tout commence par un foyer qu’il faut réinventer au bout du monde. Un lieu à habiter. On affronte alors des bailleurs de Bombay, de Téhéran ou du Caire pour acquérir ou louer son logement. On achète des meubles et on garnit sa maison dans les magasins de la classe moyenne d’un quartier de Saint-Pétersbourg ou de Johannesburg. En quelques jours, plus sûrement qu’en plusieurs semaines de vagabondage, on pénètre dans l’intimité du pays d’accueil. À chaque visite d’un locataire sur le départ, on s’immisce dans un univers privé, ordinairement fermé à nos yeux d’étrangers. D’intrus, on devient partenaires. Pédagogie du mimétisme : pour habiter notre nouvelle maison dans ce territoire exotique, il nous faut répéter des gestes si fréquents chez nous qu’ils n’engageraient à aucune réflexion consciente. Pour équiper d’objets son salon, sa cuisine ou sa chambre, il faut comparer, trier, argumenter. On esquisse un dialogue avec soi : ce qu’il nous faut reformuler, ce qui nous est indispensable et ce qui relève de l’adaptation nécessaire.
Vient ensuite le temps des rituels, lorsque ce qui apparaissait inconnu devient une simple habitude dans le territoire que nous habitons désormais. Au Caire, on se rend chaque jour dans le café de sa ruelle, dans le quartier de Garden City, au cœur de la ville, pour y fumer sa chicha et boire son jus de mangue. À Tôkyô, on lit chaque matin son journal tout en conversant avec ses collègues de bureau. À Nicosie, on fait l’apprentissage de la conduite à gauche. À Bamako, ce sont les courses de fruits et légumes exotiques dans le marché en bas de chez soi. Partout, les habitués se reconnaissent dans la librairie de quartier, chez le coiffeur ou le tailleur, tout en faisant la découverte de la bureaucratie locale. Chaque pas ouvre de nouvelles portes, comme autant de clés de compréhension du monde que l’on s’est choisi. Cette forme de départ délaisse l’exception ou l’extraordinaire pour s’intéresser aux choses simples de la vie. »


Lionel Bedin, auteur, éditeur, passionné de littérature de voyage, vous commente L'Appel de la route de Sébastien Jallade.

Lionel Bedin fait partager les livres qui lui ont plu sur un blog dédié à la littérature de voyage. Avec son accord, nous publions les critiques des ouvrages des membres du réseau Chemins d'étoiles. Nous l'en remercions de tout cœur et vous invitons à aller consulter son blog.


J'ai lu L'Appel de la route de Sébastien Jallade
(publié le vendredi 14 janvier 2011 par Lionel Bedin)

Qu’est-ce qui pousse à partir ? Qu’est ce qui fait que l’on se retrouve un jour dans un désert sans fin ou dans le quartier bruyant d’une mégalopole étrangère ? Le goût du risque ? Une quête ? Mais de quoi ? De la liberté ? De l’altérité ? De soi ? C’est à ces (éternelles) questions que Sébastien Jallade consacre cet Appel de la route - Petite mystique du voyageur en partance, l’un des livres de la collection « petite philosophie du voyage. »

L’envie de partir naitrait autant et à la fois d’une soumission à ses racines qu’à une volonté d’indépendance. C’est ce qu’explique Sébastien avec la « parabole » du missionnaire pèlerin qui réunit sa foi et son héritage paternel. Nous avons tous une maison, un passé qui a résonné d’histoires de voyages en des terres plus ou moins lointaines. Ces histoires, associées à nos lectures et à nos propres découvertes – le salon, le jardin, la rue, le quartier, la ville… – débouchent inévitablement sur quelques questions comme : qui es-tu ? D’où viens-tu ? Que rêves-tu d’être désormais ? Et si « l’errance est une tension nécessaire à l’individu », le départ est alors inéluctable. Ce sera Ushuaia. Mais la destination du premier voyage n’est pas le principal. « Je voulais expérimenter la plus banale des liberté, celle d’un jeu avec mon identité. L’exotisme de la Terre de Feu ne m’intéressait pas. Je souhaitais choisir la voie. »

La question du pourquoi semble réglée : tester ce fameux concept de « liberté » et trouver son propre chemin. Inventer son épopée personnelle. Ajoutons d’autres arguments : de nos jours il resterait le choix entre les projets « socialement conformes » dans « un monde fini » et le rejet de cet avenir. Ce rejet peut passer par le départ, le voyage. Aller se frotter à l’ailleurs, à l’autre, pourrait être salvateur. Se « confronter à l’espace », aller voir ce qu’il reste d’inconnu, au « vent de routes nouvelles. » Selon Sébastien, le voyage est « un acte fondateur » ; partir est un manifeste, un message, un « défi exprimé à l’égard de notre système », une façon d’exprimer une « défiance vis-à-vis de sa communauté d’appartenance », une « mystérieuse recherche du bonheur ». Il reste que si le départ peut être « une réponse à la tendance déshumanisante des sociétés modernes » il faut veiller à ne pas quitter un système pour retomber dans un autre. « Et si nous, apôtres des ruptures itinérantes, n’étions pas libres, mais les victimes de nos utopies ? »

Autre question : Prend-on un risque à partir ? On apprendra que les voyageurs, même les plus fous, comme celles et ceux qui tentent des traversées très engagées et à la limite (Pacifique à la rame, pôle en solitaire…) « n’aspirent pas délibérément au risque gratuit. » En réalité, partir permettrait de « renouer » avec le « risque », qui aurait disparu de nos sociétés bardées d’assurances, de risque zéro, de principes de précautions, et dans lesquelles même la mort a disparu, hors de nos peurs. Le voyageur trouverait de la jouissance à se démunir de toutes ces certitudes et à vaincre les frontières du danger.

Sébastien Jallade poursuit par l’analyse de quelques autres questions ou notions, comme la toponymie, – la lecture en chambre d’un atlas est à l’origine de bien des départs –, l’exotisme et le dépaysement, ou plutôt : leur fin ; l’expérience de l’altérité, cet « autre si convoité », la relation entre ceux qui restent et celui qui s’en va, le nomadisme comme « représentation du monde », la quête spirituelle. Laissons le lecteur découvrir ces réflexions, souvent ponctuées de citations épatantes, comme « La pérégrination marque le pouvoir de l’imagination » pour arriver à cette conclusion : « L’appel de la route est un mouvement sans fin. C’est un chant du départ, un éloge des commencements et des utopies vagabondes, celles qui se mesurent en kilomètres. Voyager, c’est marquer une distance : à soi, vis-à-vis de sa famille et de sa société d’origine. » Texte très riche – il serait plus lisible avec des chapitres mieux marqués – cet Appel de la route apporte des réflexions et des réponses personnelles très intéressantes. Le livre est d’un format et d’un poids qui ne posent aucun problème pour le sac à dos.

Les premières lignes. « C’est par surprise que nous prennent les grands départs. Ils puisent sans crier gare dans le chaos exubérant de nos désirs et de nos ambitions. Chacun convoque son appétit d’horizons nouveaux comme on arpente son territoire de chasse. Ma frontière, je la forge dans le bain des pionniers du Nouveau Monde : Le Grand Sud patagon, parent ignoré de son cousin du nord, le Far West, mais porteur des mêmes idéaux. Des territoires si vides qu’ils s’emplissent du bruit de la moindre des utopies humaines. Editions Transboréal 2009.

« Et il n’est rien de plus beau que l’instant qui précède le voyage, l’instant où l’horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses. » Milan Kundera, cité par Sébastien Jallade.

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